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Rien n’est touchant comme de voir dans son journal les efforts de tendresse que fait son cœur pour se nourrir encore du souvenir du mort, et transformer ce souvenir en amour vivant. Elle entretient avec Maurice un dialogue à voix basse, et l’informe de ce qui s’est passé durant cette absence qui ne finira plus. « Ainsi Dieu le veut. Bonsoir, mon ami. Oh ! que nous avons prié ce matin sur ta tombe, ta femme, ton père et tes sœurs !… Huit soirs ce soir que tu reposes là-bas, à Andillac, dans ton lit de terre… Ta berceuse est venue, la pauvre femme toutes larmes, et portant gâteaux et figues que tu aurais mangés. Quel chagrin m’ont donné ces figues ! Et le ciel si beau, et les cigales, le bruit des champs, la cadence des fléaux sur l’aire, tout cela, qui te charmerait, me désole. » Désormais, la vie de Mlle de Guérin n’ayant plus de but terrestre, la religion s’empara de la femme tout entière : elle tourna ses regards vers la patrie éternelle où elle était sûre de rejoindre Maurice. Les soupirs de cette âme chrétienne sont souvent très beaux ; nous n’en citerons qu’un seul, celui où elle renonce pour jamais à la pensée de chercher dans une créature humaine une consolation à sa douleur, et où elle se remet tout entière entre les mains de Dieu. « Mon Dieu, que le silence me fait peur à présent ! Pardonnez-moi tout ce qui me fait peur ! L’âme qui vous est unie, qu’a-t-elle à craindre ? Ne vous aimerais-je pas, mon Dieu, unique, et véritable, et éternel amour ? Il me semble que je vous aime, comme disait le timide Pierre, mais pas comme Jean, qui s’endormit sur votre cœur. Divin repos qui me manque. Que vais-je chercher dans les créatures ? Me faire un oreiller d’une poitrine humaine ? Hélas ! j’ai vu comme la mort nous l’ôte. Plutôt m’appuyer, Jésus, sur votre couronne d’épines ! » Arrêtons-nous sur ce soupir, qui exprime un regret inconsolable et qui est le plus bel hommage rendu à la mémoire de Maurice. Onze années après, Eugénie avait la douceur de rejoindre enfin ce frère bien-aimé.

Faut-il plaindre Maurice cependant d’avoir été moissonné dans sa fleur ? Faut-il faire à la mort un reproche d’avoir détruit les espérances que sa vie promettait ? Après tout, sa destinée est enviable ; il eut des amis qui restèrent fidèles à son souvenir, une sœur bien-aimée qui ne voulut pas connaître d’autre tendresse que celle qu’il lui avait inspirée, et quant à la place étroite que la mort lui a faite en l’enlevant brusquement à ses travaux, si elle est moins grande que celle que la vie lui aurait faite, elle est peut-être plus poétique et plus charmante. Maurice de Guérin apparaît ainsi comme une de ces fleurs de la solitude qui, cachées sous les hautes herbes, embaument de leurs parfums le promeneur qui ne les aperçoit pas. Les parfums de cette fleur se dégagent abondans et suaves de ces deux volumes. Puissions-nous vous avoir donné le désir de les respirer !

Émile Montégut.