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où en a-t-on avec plus de persévérance et de décision démontré la fausseté ? Les temporalités ecclésiastiques ont été abolies par notre révolution, et qui peut prétendre que les privilèges ecclésiastiques qui étaient en vigueur avant 1789 donnaient au XVIIIe siècle un clergé plus pieux, y entretenaient une société plus chrétienne que le clergé et la société de notre XIXe siècle ? Est-ce le spectacle de son indépendance ou celui de sa dépendance que la papauté présente au monde depuis trente ans, au milieu des tristes efforts qu’elle fait pour retenir son pouvoir temporel ? La réponse est écrite dans des faits qui frappent tous les yeux. Le pouvoir temporel enveloppe la papauté et le catholicisme d’un tissu de servitudes. Quel autre nom donner en effet à ces protections étrangères, devenues de plus en plus humiliantes, auxquelles la papauté est obligée d’avoir recours, à ces compromis, à ces pactisations politiques auxquelles elle a été réduite, à cette solidarité, injurieuse au catholicisme, qu’elle s’est crue forcée d’accepter partout avec la cause des despotismes à l’heure de leur triomphe, à toutes ces fautes politiques qui ont porté de si profondes atteintes à son autorité religieuse ? Nous honorons et nous aimons le sentiment religieux, mais en libéraux. Or le libéralisme moderne croit et professe que le sentiment religieux est plus vivace et plus florissant dans les églises libres que dans les églises officielles, que la concurrence entre les églises également délivrées des tyranniques tutelles du pouvoir politique profite à chacune d’elles et à la vitalité du sentiment religieux, nécessaire à la santé morale des sociétés, et qu’enlever à une église des privilèges qui sont des liens, c’est véritablement l’affranchir. Est-ce à des catholiques sincères, à ceux qui ont une foi véritable aux promesses dont ils se croient dépositaires, d’attacher les destinées de leur église et de son chef à la misérable conservation d’une propriété temporelle ? Ne sentent-ils pas ce qu’ils acquerront d’ascendant loyal et légitime sur les âmes en rentrant dans la liberté commune ? En perdant Rome, ils rompent les chaînes qui lient l’église à l’état, et qui subordonnent, en tant de pays et, on peut le dire, en France, l’activité du zèle religieux aux réglementations du pouvoir civil. — Revenus au droit commun, obligés de couvrir comme saint Paul les intérêts de leur foi de leurs droits de citoyens, au lieu de ces basses connivences, de ces complaisances viles qu’on les a vus trop souvent prêter aux pouvoirs ennemis de la liberté, ils serviront la liberté publique dans la mesure même de leur foi, et se montreront d’autant plus résolus et fermes dans leur civisme qu’ils seront plus fervens dans leur croyance. Pour des libéraux, l’équivoque certes n’est pas possible : la séparation du spirituel et du temporel est un de nos principes essentiels. Si nous regardons au passé, nous voyons ce principe dominer l’histoire de nos efforts et de nos triomphes ; si nous regardons à l’avenir, nous eu voyons toutes les applications futures conspirer à de nouveaux progrès de la liberté. Nous ne pourrions nous refuser à l’application de ce principe à Rome sans nous renier nous-mêmes.