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contraire, les conspirateurs possibles, les rebelles de demain, nos esclaves en un mot, sont liés par le sang à des magistrats qui nous gouvernent. Au premier signe de ces complices naturels, nos esclaves se joindront à eux ; ils grossiront le nombre de leurs soldats ; déjà maîtres de nos demeures, ils nous égorgeront après les avoir pillées. Voilà le danger qui menace l’empire ; à qui la faute, si ce n’est à nous ?

« Ose te mettre à l’œuvre, empereur auguste, et commence par purger nos camps. Saisis le van d’une main ferme ; sépare le grain natif de l’ivraie parasite, car c’est dans l’armée qu’est la vraie racine du mal. Les Barbares ne sont pas si redoutables, puisque nos pères les ont vaincus ; les Romains non plus ne sont pas si amollis : en leur rendant des armes, tu ramèneras parmi eux les vieilles mœurs et l’antique énergie. L’empire jadis ouvrit son sein pan pitié aux Goths fugitifs et supplians ; qu’ils y vivent, s’il le faut, en hôtes tolérés et reconnaissans, mais qu’ils n’en soient plus le fléau et la ruine ! »


Tel fut le discours de Synésius, tel est du moins celui que nous lisons dans ses œuvres, et nous avons peine à nous imaginer que ce soit exactement le même, qu’une pareille hardiesse de langage ait pu se produire devant un auditoire en partie composé de Barbares puissans à la cour. Synésius, comme beaucoup d’anciens, refit sans doute sa harangue avant de la publier, ou ne la prononça qu’avec de grandes suppressions ; cependant les données principales et l’esprit de la composition restèrent bien évidemment les mêmes. Le succès qu’elle eut après la publication, puisque le temps nous l’a conservé, prouve qu’elle répondait aux préoccupations publiques. Arcadius ne se fâcha point d’une leçon qu’il eût pu trouver fort vive ; il reçut encore plusieurs fois le délégué de la Pentapole, s’entendit avec lui sur les intérêts de sa province, et finit par lui accorder toutes ses demandes. Telle était dans l’empire l’opinion générale ; on s’accordait sur les maux dont la présence des Barbares menaçait l’empire, mais on différait sur le remède. Le remède théorique proposé par Synésius était bien lent, bien chanceux dans son application : la cour d’Orient croyait en avoir trouvé un plus sûr, rejeter les Goths sur l’Occident.


III

Cependant l’eunuque devenait plus hardi à mesure que sa domination se prolongeait : sa cauteleuse prudence sembla même l’abandonner tout à fait. Mécontent de n’exercer l’autorité que honteusement, dans l’ombre et sous des noms d’emprunt, au lieu de gouverner par lui-même, comme Stilicon en Occident, il résolut enfin de braver le grand jour et le bruit. L’idée que sa condition l’excluait à jamais d’un pouvoir public et avoué l’irritait jusqu’à la fureur :