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ASPASIE.

Tels sont les vrais amis. Ils se querellent toujours et ne sauraient se passer l’un de l’autre. Tu sais, Elpinice, avec quelle piété Phidias honore la mémoire de ton frère.

PHIDIAS.

Et je ne cesserai point de l’honorer, car c’est à lui que je dois mes premiers travaux.

ASPASIE.

Pour toi, Phidias, tu n’ignores point quelle reconnaissance Elpinice t’a vouée.

ELPINICE

Avec justice, car c’est lui qui a fléchi Périclès et fait rappeler Cimon de l’exil. Aussi souffrirai-je qu’il me raille sans me plaindre.

ASPASIE.

Les railleries de Phidias sont douces, comme le sentiment qui les dicte. Il me semble, Elpinice, que celles de Thucydide sont plus amères.

ELPINICE

Thucydide est un impudent.

ASPASIE.

Que lui as-tu fait, à cet orgueilleux fils de Mélésias ?

ELPINICE

Du bien. Je lui offrais mes conseils.

ASPASIE.

Contre nous ?

ELPINICE

Que veux-tu, ma pauvre enfant ? Mon sang est noble, et vous vous appuyez sur la canaille.

ASPASIE.

Qu’a-t-il répondu à tes offres ?

ELPINICE

Que les femmes devaient nouer le fil de leur quenouille et non des intrigues politiques, qu’elles excellaient à mesurer la tâche à leurs servantes, mais non pas aux orateurs.

ASPASIE.

Jupiter l’aveugle-t-il à ce point ? Du reste, il s’exprime avec une singulière liberté sur ton compte.

ELPINICE

Je le sais. Il me compare aux girouettes placées sur l’avant des galères, qui tournent, en grinçant, au moindre vent.

ASPASIE.

Que ne te venges-tu en nous aidant à le bannir ?

ELPINICE

Ce serait servir la cause de Périclès. — Tu ne manques pas d’adresse, Aspasie. D’ailleurs que peut une femme ?

ASPASIE.

Tu as de l’influence sur tes neveux, sur leurs amis, sur les habitans de la campagne. Tu possèdes des terres considérables dans le dôme de Philé.

ELPINCE

Tous mes fermiers sont irrités contre Périclès.