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AGORACRITE.

En effet, il n’a dû être inscrit dans notre tribu pandionide qu’à l’aide de faux témoins. Comment serait-il de la même race que nous ?

PRAXIAS.

Les dieux n’ont point permis que le sang grec fût à ce point souillé. Considère combien son front est bas, sa chevelure rousse, son nez recourbé, sa bouche fendue, son oreille large ! Tels sont les esclaves que nous vendent les Phéniciens.

PÆONIOS

Mais le père de Pasion est connu.

PRAXIAS.

C’est justement le père de Pasion qui m’est suspect. Après les guerres médiques, notre ville était détruite et le peuple dispersé : il était facile, à la faveur du désordre, de se glisser parmi les citoyens.

PÆONIOS

Qu’importe, si Pasion est riche ?

PRAXIAS.

Il est certain que sa richesse le protège, quoique mal acquise.

PÆONIOS

L’argent, Praxias, n’est point comme l’eau que chacun peut puiser à la source. Pour le donner aux uns, le dieu Plutus doit le prendre aux autres.

AGORACRITE.

Or les gens avisés le prennent eux-mêmes, au lieu de se fier à Plutus : en cela, Pasion excelle. Savez-vous, mes amis, pourquoi il nous flatte depuis quelque temps ?

PRAXIAS.

Il espère acheter nos œuvres à bas prix ?

PÆONIOS

Il veut consacrer une statue à Mercure, dieu des voleurs ?

PRAXIAS.

Il se prépare un tombeau ? Je le lui sculpterai sans salaire, s’il s’engage à n’être dans trois mois qu’une poignée de cendres.

AGORACRITE.

Ne riez pas ; il prétend remplacer Phidias.

PRAXIAS.

Remplacer Phidias !

AGORACRITE.

Oui, c’est-à-dire nous commander et diriger les travaux publics. Thucydide, à qui il prête de l’argent, lui a promis ce poste.

PRAXIAS.

Tu parles sérieusement ?

AGORACRITE.

Je jure par Minerve Poliade que rien n’est plus sérieux. Le voici qui s’approche. Gardez le silence ; je lui ferai tout avouer devant vous.

PÆONIOS

Celui qui l’accompagne, c’est Bodastoreth, le marchand tyrien. Quels beaux vêtemens de pourpre ! Les Perses n’ont pas la barbe mieux frisée.