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confiance absolue ; ils sont persuadés, l’un qu’il mène à la victoire, l’autre qu’il y est conduit : cela seul suffit à expliquer bien des triomphes. Il y a entraînement et presque fascination de part et d’autre, les Italiens suivent Garibaldi comme les croisés suivaient Pierre l’Ermite.

Pour ces peuples crédules, ignorans, si prompts à l’émotion, Garibaldi est maintenant plus qu’un homme, c’est presque un saint et à coup sûr un apôtre ; on ne lui a pas encore demandé de bénir les armes et de toucher les malades, mais cela peut venir. Voici un fait qui s’est passé, en ma présence, devant trente personnes à bord même de l’Amazon, où Garibaldi chantait, souriait et causait au milieu de nous. Parmi les passagers montés le matin même, à Palerme, sur notre bateau, se trouvait un homme d’un certain âge, remarquable par une excessive myopie qui donnait à ses yeux une saillie inaccoutumée ; il portait la veste rouge à paremens et à collet verts qui fut, pendant le siège de Rome en 1849, le costume des officiers de l’armée nationale. Depuis 1849, cet homme n’avait pas vu Garibaldi ; dès qu’il put le joindre sur le pont du navire, il l’aborda, se nomma, lui prit les mains, et lui parlant d’une voix humide, pendant que des larmes roulaient dans ses gros yeux : « J’ai une grâce à vous demander, lui dit-il avant de prendre congé de lui, ne me refusez pas, car je suis l’un de vos vieux compagnons d’armes, et jamais je n’ai failli à mon devoir ; comme talisman pour ma vie entière, mon général, donnez-moi un des boutons de votre vêtement. » Garibaldi se mit à rire, puis, prenant un couteau dans sa poche, il enleva lestement un bouton à la ceinture de son pantalon et le donna à son admirateur : « Que les balles osent m’atteindre maintenant ! » s’écria celui-ci en agitant l’amulette avec orgueil. N’est-ce que risible, est-ce touchant jusqu’aux larmes ? Je ne le sais pas moi-même.

« Les anges le couvrent de leurs ailes, » disaient les femmes de Palerme en le voyant traverser impunément les fusillades. La légende se fait tous les jours, elle est déjà faite, et comment en serait-il autrement ? A Melazzo, la mitraille l’enveloppe, brise la palette de son étrier et enlève la semelle de son soulier ; à Reggio, un coup de feu traverse son chapeau de part en part ; au Vulturne, une balle coupe le ceinturon de son sabre. Michelet a dit un mot profond sur lui : « C’est un heureux ! » Son débarquement en Sicile est un conte de fées : les croisières napolitaines, prévenues de son départ de Gênes, le cherchaient partout ; elles quittent le port de Marsala pendant trois heures, et dans ce court intervalle il arrive, amené par la fortune de l’Italie. Il savait que la caserne de la ville contenait six cents soldats ; il dit au général Türr : « Prenez vingt hommes avec vous, ne vous exposez pas trop, et allez faire prisonnières les