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laquelle il a gardé rancune ; il sent, et cela est assez naturel, peser « sur son cœur les souvenirs du siège de Rome et de la paix inopinée de Villafranca. En tant qu’Italien et chef d’une guerre d’indépendance, il a plus d’aspiration vers la liberté que vers l’égalité ; aussi est-il entraîné vers l’Angleterre par un attrait qui se fait jour en toutes circonstances, et regarde-t-il la France comme un peuple de bon vouloir arrêté dans ses développemens légitimes. En cela, il a tort : si une nation est, dans les secrets desseins de Dieu, appelée entre toutes à donner la liberté au monde, c’est la France, nation expansive, toujours prête au sacrifice, singulièrement féminine, car elle a toutes les faiblesses, tous les enthousiasmes, tous les abandons et tous les dévouemens de la femme. À l’heure qu’il est, elle est encore la grande nourrice au sein de laquelle les peuples viennent boire le courage, la résignation et l’espérance. L’Angleterre maintient avec jalousie la liberté chez elle et la détruit souvent chez les autres ; dans son généreux esprit d’inconséquence, la France ferait plutôt le contraire.

Et puis, pour tout dire et pour toucher, par des interprétations personnelles, à une question qui n’est pas encore refroidie, le dictateur ne nous a pas pardonné et ne nous pardonnera jamais les annexions de Nice et de la Savoie. Au simple point de vue italien, il me semble encore qu’il n’a pas raison. J’aurais mieux aimé, pour ma part, que la France ne réclamât point ces frontières dites naturelles ; jamais les Alpes ne nous ont empêchés de descendre en Italie, ne serait-ce que par le mont Saint-Bernard, de même que le Rhin n’a jamais été un obstacle à notre passage en Allemagne. La France est ce qu’elle est, et, quelles que soient ses limites, son poids est tel qu’il fait fatalement pencher la balance européenne du côté où il se jette ; nous avons gardé le glaive de Brennus. Pour beaucoup d’autres raisons, qu’il est superflu d’énumérer, la France me paraît avoir eu tort dans cette occurrence, car, tout en augmentant son territoire, elle diminuait, ce qui est grave, l’effet moral de sa belle action ; mais le Piémont, en dehors des circonstances particulières qui lui ordonnaient impérieusement de céder, ne fit-il pas très bien d’abandonner à sa grande voisine les montagnes de la Savoie et le comté de Nice ? Du moment que tout ce qui est Français devait être France, il était implicitement convenu que tout ce qui est Italien devait devenir Italie. L’unification italienne était la déduction logique et forcée de la cession des deux provinces. Le colonel Frapolli, un homme éminent à tous égards, avait parfaitement compris cela quand, dans la séance du parlement de Turin, le 29 mai 1860, à propos de la discussion ouverte à ce sujet, il se tourna vers une tribune occupée par le ministre de France et s’écria :