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des flots, ressemblent à un chœur de dieux marins. Tout cela était triste et grave. En face de la citadelle, qui sur la nuit sombre découpait sa sombre silhouette, je trouvai nos sentinelles immobiles, l’arme au pied, l’oreille tendue, l’œil aux aguets. « Qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? dis-je à un officier anglais qui venait de faire sa ronde aux grand’gardes. — Rien, me répondit-il ; all righth. »

Vers le point du jour, avant que les chaleurs d’août eussent embrasé le ciel, je montai en voiture pour aller au Phare ; la route commence aux quais de Messine et ne quitte plus le bord de la mer, qu’elle côtoie tantôt sur une chaussée, tantôt sur le sable même. Des villas précédée, de promenoirs couverts de vignes, escortées de pins-parasols et d’azeroliers, s’appuient aux coteaux et font bonne figure dans ce grandiose paysage, composé par les flots bleus de la Méditerranée, les montagnes de la Sicile et celles du continent, enveloppées de ces limpides atmosphères que l’Orient connaît seul. Et cependant ce n’est pas l’Orient, ce n’est qu’une Italie plus chaude, plus personnelle, plus sarrasine. Le long de la route, je vois bien des haies de nopals qui épattent leurs larges raquettes épineuses où se dresse un calice d’or à pistils d’argent, je vois les aloès qui recourbent leurs feuilles meurtrières semblables au soc des charrues primitives, je vois les cassis découpés dont les petites boules jaunes jettent dans les airs un parfum de vanille ; mais où sont les cigognes voyageuses ? Où est le minaret bulbeux de la mosquée entourée de fontaines ? Où sont les palmiers dont la voix parle si tristement dans le vent qui passe ? Où sont les montagnes roses comme du miel ? Où est le grelot des caravanes ? En un mot, où est cette forte poésie pittoresque qui est restée ineffaçablement gravée au cœur de tous ceux qui l’ont aspirée ? Ici je ne vois qu’une sorte de poésie intermédiaire et bâtarde qui sert pour ainsi dire de transition entre les prosaïques splendeurs de l’Europe et les rêveries lumineuses de l’Orient.

Comme je traversais le village della Pace et que je commençais à m’endormir paresseusement sur les coussins de la voiture, à l’ombre de la capote rabattue, je fus tiré de ma somnolence par des détonations qui retentirent vers ma droite. Une frégate et un brick de la marine napolitaine canonnaient le Phare, qui ripostait de toutes ses batteries ; les forts de la terre ferme s’en mêlèrent, et à une prodigieuse distance envoyèrent des projectiles qui éclataient jusque sur les rivages siciliens. La frégate, surmontée par la fumée brune de son charbon, entourée par la fumée blanche de ses caronades, entièrement disparue dans un nuage qu’ouvrait la lueur rapide des coups de canon, ressemblait de loin à un immense incendie brûlant et fumant tout seul au milieu de la mer. Les boulets, ricochant sur