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nourrissait de tous les bruits que l’absence de Garibaldi exagérait encore. Où était-il ? À Melazzo, à Taormina, à Palerme, en Calabre, à Naples même ? On ne savait.

Ces prétendues lenteurs et l’ignorance nécessaire où nous étions des projets du dictateur nous fatiguaient outre mesure et exaspéraient les plus impatiens, qui demandaient le passage, coûte que coûte. Quelques-uns avaient même imaginé cette belle folie de s’emparer, par persuasion ou par force, d’une frégate piémontaise qui stationnait dans le port de Messine, et de s’en servir pour opérer notre débarquement ; le raisonnement sur lequel on s’appuyait pour proposer ce coup de main était curieux, et ne manquait pas d’une certaine subtilité. « La cause que nous représentons est celle de l’Italie entière, — le Piémont fait partie de l’Italie, — nous avons donc le droit de nous servir des forces du Piémont pour le plus prompt et le plus grand bien de l’Italie. » Cet appel à l’italianisme forcé ne fut heureusement pas entendu ; quelques meneurs seuls voulurent se rendre à bord de la frégate piémontaise, mais le commandant refusa de les recevoir, et ce fut là que s’arrêtait cette tentative, qui, si elle avait été poussée plus loin, aurait pu amener d’inextricables complications, car les liens se relâchaient déjà singulièrement entre les deux grands Italiens, Cavour et Garibaldi.

Ce dernier ne se reposait guère ; il combinait ses moyens d’action, faisait simuler des débarquemens sur les côtes calabraises, de façon, en tenant les royaux en haleine sur plusieurs points à la fois, à les contraindre à diviser leurs forces ; il guettait l’occasion favorable, ouvrait l’oreille à tous les bruits venus de la terre ferme, regardait vers quelle montagne fumaient les signaux de Missori, et, quand on osait l’interroger, répondait : Bientôt !


IV

Les nouvelles se succédèrent enfin coup sur coup, vraies cette fois, relatant des faits extraordinaires, comme tout ce qui appartient à l’homme qui nous commandait. Le 19 août, dans la nuit, il avait quitté Taormina avec une brigade embarquée à bord des bateaux à vapeur le Franklin et le Torino ; toute la nuit on avait navigué par une mer assez dure, et vers le point du jour on était arrivé en vue de l’extrémité de l’Italie méridionale, près de la petite ville de Melito, au cap dell’ Armi. Monté à bord du Franklin, qu’il commandait lui-même, à côté de son vieux compagnon Origoni, Garibaldi avait fait signal au Torino d’accélérer sa marche et d’atterrir au plus vite, car la croisière napolitaine pouvait apparaître d’un instant à l’autre.