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Le Torino chauffa à outrance, jusqu’à se jeter sottement à la côte, qui est sablonneuse et basse. Six heures furent inutilement perdues à tâcher de relever le navire ; le Franklin y rompit toutes ses amarres, et faillit y compromettre sa machine. Voyant l’impuissance de ses efforts, et comprenant qu’une plus longue tentative l’exposerait lui-même à un très sérieux danger, il reprit la mer, hissa pavillon américain, et, grâce à ce subterfuge, passa sans encombre à travers les navires du roi de Naples. On hâta le débarquement, et le dernier homme avait pris terre quand les frégates royales, arrivant à toute hélice, mais trop tard, comme à Marsala, ouvrirent le feu contre le pyroscaphe échoué, et le coulèrent bas. Les soldats, d’après l’ordre de Garibaldi, prirent le pas de course et gravirent la montagne pour se mettre hors de la portée du feu des frégates, qui commençaient à les canonner. La journée du 20 fut employée par Garibaldi en ces marches et contre-marches auxquelles il excelle, et qui avaient pour but de dérouter les recherches et l’attention de l’ennemi. La nuit vint, qu’on ne savait encore vers quel point on allait se diriger. Voulait-il attaquer Reggio, ou bien le tourner ? voulait-il aller se jeter à revers sur Scylla ? voulait-il gagner la montagne et y attirer la guerre ? Les royaux l’attendaient partout, et il se glissait à travers leurs colonnes éparpillées, comme une anguille se glisse à travers les racines des vieux saules qui baignent leurs, pieds dans l’eau. Vers minuit, les guides de Missori apparurent et annoncèrent la prochaine arrivée du jeune chef de partisans. Seul, il avait eu connaissance du-plan de Garibaldi. En conséquence, et à la vue d’un signal dont il avait le secret, il avait quitté son inexpugnable position au sommet de l’Aspro-Monte, et il venait, par une marche des plus difficiles dans un pays boisé, qui n’est que ravines et montagnes, faire sa jonction avec son général en chef. Sur la terre nue et à la clarté des étoiles, on tint un rapide conseil. La petite troupe fut divisée en trois détachemens : l’un, commandé par Bixio, avait pour mission d’attaquer de front la ville de Reggio ; les deux autres, sous les ordres immédiats de Garibaldi et de Missori, tournant les forts, devaient prendre les Napolitains entre deux feux. Vers trois heures et demie du matin (21 août 1860), l’avant-garde des chemises rouges tomba sur les vedettes royales. « Halte là ! qui vive ? — Italie et Victor-Emmanuel ! — Passez au large ! — Vive Garibaldi ! — Vive le roi ! » L’action s’engagea.

L’armée napolitaine, massée à l’entrée principale de la ville, faisait un feu terrible, devant lequel nos soldats reculèrent pendant quelques instans. Garibaldi arriva seul pour voir ce qui se passait. « Eh bien ! mes enfans, cela ne va donc pas bien par ici ? Vous êtes