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d’autres, leurs armes jetées, se dispersant déjà dans la campagne, le général Galotta, commandant de la place de Reggio, fit arborer pavillon blanc. Le feu cessa de part et d’autre, et l’on commença à parlementer. Le combat suspendu, Garibaldi, pour s’essuyer le front, ôta le petit chapeau noir qu’il porte d’habitude et s’aperçut qu’une balle l’avait traversé de part en part. À quatre heures, une panique se répandit dans la ville : la trêve était rompue ; les Napolitains, amenés en hâte de la citadelle de Messine sur la flotte et débarqués en Calabre, accouraient débloquer Reggio, la forteresse allait commencer le bombardement. La générale battait et sonnait de toutes parts, les habitans se sauvaient dans la campagne en poussant devant eux leurs bestiaux et les charrettes chargées de meubles entassés. Naturellement c’était une fausse alerte. À cinq heures et demie, la convention fut conclue : la citadelle capitulait, ses troupes sortaient avec armes et bagages, emportant trois jours de vivres ; tout le matériel des forts restait en notre pouvoir[1]. Quelques soldats passèrent de notre côté, beaucoup désertèrent et prirent

Ce bijou rayonnant nommé la clé des champs.

Le lendemain (22 août) seulement, nous connûmes cette victoire, mais sans aucun détail, par une dépêche de Garibaldi : « Aujourd’hui encore nous avons vaincu, Reggio est à nous ! » On fut fort joyeux, cela va de soi ; nos musiques parcoururent les rues de la ville en jouant des airs patriotiques éclos d’hier, oubliés demain ; chaque maison illumina. Plus que jamais on cria : Vive l’Italie ! Mais tous les officiers garibaldiens retenus encore à Messine, et nous étions nombreux, étaient mécontens de n’avoir pas assisté à l’affaire. Ils disaient : Pourquoi les autres et non pas nous ? Je n’ai jamais mieux apprécié la justesse de la qualification de grognard donnée jadis à nos soldats ; une armée pourrait être définie : un rassemblement d’hommes qui se plaignent sans cesse et grognent du matin au soir, ceux que l’on envoie au combat, parce qu’on les sacrifie toujours, qu’on ne leur donne jamais un instant de repos et qu’on les pousse à la bataille comme des troupeaux à l’abattoir ; ceux qu’on n’y envoie pas parce qu’on les sacrifie toujours en les condamnant au repos, et qu’il n’y a ni avancement ni gloire pour eux, puisqu’on les tient, par parti-pris, en dehors de l’action : des deux côtés, on se croit sacrifié, et l’on n’en est pas moins bon soldat quand l’occasion

  1. Huit pièces de campagne, huit canons à la Paixhans de 80, six canons de 36, dix-huit pièces de position, trois mortiers de bronze, environ douze cents fusils, des provisions de bouche, un dépôt de charbon de terre et une grande quantité de mulets.