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sans contre-poids et sans frein avait fini par atteindre l’aristocratie danoise : les intérêts égoïstes de la caste étaient devenus plus chers à ces nobles que le patriotisme et l’intérêt de l’état ; par ses odieux privilèges, par son imprévoyance et son égoïsme, la noblesse avait compromis le Danemark dans la guerre avec le belliqueux roi de Suède Charles X Gustave, et elle avait mérité de supporter enfin la responsabilité des désastres qui avaient failli effacer le Danemark du nombre des états indépendans. Quand la diète de 1660 se réunissait à Copenhague pour remédier aux maux de la guerre, quand il y avait un mouvement des esprits vers une réorganisation des pouvoirs politiques plus conforme aux besoins de l’état, la noblesse n’avait ni assez d’intelligence ni assez de patriotisme pour comprendre la nécessité : au lieu de se mettre à la tête du mouvement pour le diriger, elle s’obstina dans ses privilèges et provoqua la révolution qui réduisit son pouvoir au néant.

La bourgeoisie, grossie du clergé, qui se recrutait depuis la réforme dans ses rangs, avait aussi contribué à cette révolution. Elle avait senti lourdement le fardeau et les maux de la guerre avec la Suède. Sa seule énergie, son abnégation, son dévouement avaient détourné la complète dissolution du Danemark. Elle avait la conscience du devoir bien rempli ; on s’en apercevait à l’énergie nouvelle de son langage et de ses demandes dans la diète de 1660. Elle aussi, elle avait un passé. Elle avait, dans la longue guerre civile appelée la guerre du comte Grevens feide)[1], soutenu vaillamment, bien que sans succès, le roi-bourgeois Christian II contre la noblesse. Elle avait appuyé la réforme, protégé son apôtre, Hans Tausen, et assuré par son consentement l’adoption du luthéranisme. Elle était en possession d’une autonomie communale, qui était une force réelle, et qu’elle comptait bien transformer en puissance politique. — Quant aux paysans, l’injustice des temps les avait réduits à une dégradation sociale et politique presque complète. Le nombre des paysans propriétaires avait toujours été en diminuant ; on ne les retrouvait plus guère que dans le nord du Jutland et dans l’île de Bornholm. Le triomphe de la noblesse contre Christian II leur avait été funeste en brisant la dernière résistance contre l’aristocratie ; les nobles s’étaient emparés presque partout de la propriété des terres, ne leur laissant qu’un usufruit peu assuré contre l’arbitraire et encombré de

  1. Ainsi nommée du comte Christophe, élu par la ligue hanséatique et mis à la tête de la bourgeoisie et des paysans danois contre la noblesse et le clergé, qui avaient élu roi le fils de Frédéric Ier, mort en 1533. — Voyez sur cette guerre un fort intéressant ouvrage de M. Paludan-Müller, intitulé la Guerre du comte.