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efféminés pliant sous le poids d’une armure, au son de cette voix grêle et cassée qui singeait le ton du commandement, les soldats partirent d’un éclat de rire involontaire qui parcourut tous les rangs. Les Barbares en firent de même la première fois qu’ils l’aperçurent : « Les Romains n’ont plus d’hommes, se disaient-ils les uns aux autres, voyez leur général ! » Eutrope, sans se troubler de tout cela, acheva la campagne, se battit un peu, négocia beaucoup, s’aboucha avec les chefs ennemis, et obtint d’eux, à prix d’argent, qu’ils évacueraient l’Arménie et les terres romaines, puis il revint à Constantinople, avec quelques-unes des légions, dans une attitude triomphale. Comptant sur un accueil enthousiaste, il avait eu soin de paraître avec des vêtemens poudreux, un teint hâlé, une armure en désordre, toute l’apparence d’un guerrier las de combats et qui demande sa récompense ; mais il ne rencontra que froideur et mépris : ses cliens seuls et quelques flatteurs lui firent une espèce d’ovation, à laquelle la population refusa de participer. Rentré précipitamment dans son palais pour y dévorer sa colère, il se jeta, dit-on, dans les bras de sa sœur, et se mit à fondre en larmes. Eutrope se croyait héroïque : « Voilà leur reconnaissance pour tant de fatigues et de dangers, répétait-il en sanglotant ; que n’ai-je péri au fond de la mer plutôt que d’être en butte comme je le suis aux tempêtes de l’envie ! » Nous ne connaissons guère cette expédition que par les satires qu’elle fit naître, surtout en Occident, où l’on s’amusa beaucoup et longtemps des exploits « de la vieille amazone, » c’est le surnom que reçut Eutrope. Il n’en est pas moins vrai que le but de la guerre se trouvait atteint, et que les Huns, déposant les armes, se retiraient devant le ministre de l’Orient, au même instant où le régent d’Occident évacuait le Péloponèse en face d’Alaric.

On touchait à l’automne de l’année 396, et Stilicon, rentré en Italie, expiait son échec du Péloponèse, par l’affaiblissement de sa popularité, quand son rival sembla prendre à tâche de la lui rendre. La guerre de reproches et d’accusations que Rufin, après les événemens de Thessalie, avait commencée contre la cour d’Occident, fut reprise par Eutrope avec un redoublement d’acrimonie. Les lettres d’Arcadius à son frère devinrent de plus en plus hautaines et blessantes par leur ton d’hostilité sourde ; celles d’Eutrope à Stilicon, manifestement injurieuses. Des explications furent demandées sur l’expédition du Péloponèse, et les réponses ayant paru contenir des menaces, le sénat de Constantinople, prenant fait et cause dans la guerre, déclara le régent d’Occident ennemi public, et prononça la confiscation de ses propriétés en Orient : il possédait, entre autres biens, des palais magnifiques sur le Bosphore qui devinrent le lot d’Eutrope. L’irritable Stilicon fit en Italie quelques armemens que