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au pays des ruines nouvelles. Évidemment une pareille alarme était exagérée ; mais elle répondait à l’excès de faveur que rencontraient partout alors les innombrables titres des compagnies financières. Cette faveur avait toutefois, sinon sa raison d’être, du moins son explication dans la condition faite depuis longtemps en France à la propriété foncière. La transmission des immeubles y est en effet grevée de charges fiscales et de formalités multiples dont la plupart doivent être maintenues, mais dont certaines paraissent singulièrement dures quand on les compare aux charges et aux formalités qui régissent la transmission des valeurs mobilières. S’agit-il de l’exploitation : les contributions de toute sorte, depuis l’impôt foncier jusqu’aux prestations, dépassent d’une somme énorme les droits de patente des industriels. Et puis est-il vraiment juste, quand on n’indemnise jamais les cultivateurs des pertes que leur causent les années où le grain se vend à bas prix, de leur enlever, par les nombreux moyens dont on dispose, le bénéfice que leur promettent les années de cherté ? La liberté et la fixité des droits en tout temps et pour toutes choses seraient, selon nous, les seules solutions qui satisferaient du même coup à la justice et aux véritables intérêts du pays ; mais favoriser l’entrée des blés étrangers dès que les nôtres sont rares, sans laisser sortir ou distiller les nôtres chaque fois que nos cultivateurs le voudraient, n’est-ce pas là une protection menteuse qui mériterait un tout autre nom ?

Cependant l’amour de la terre a résisté à tout et reste vivace en France, non pas seulement chez les paysans, qui aiment la terre avec fureur et sans mesure, mais aussi chez les hommes qui raisonnent mieux leurs goûts et les subordonnent davantage aux lois de l’expérience. Pour les uns, le sol présente l’immense mérite, si le fermage est faible, de ne faire du moins courir au propriétaire aucun des dangers qu’offrent les affaires commerciales. Les autres prisent dans la propriété rurale la considération et l’influence locale qui s’attachent toujours à la possession de la terre. Plusieurs enfin ont la sagesse de se dire que l’actif développement de l’industrie multiplie sans cesse les titres mobiliers, que les travaux publics et les guerres alourdissent la rente d’une masse de certificats dont le crédit a des limites plus étroites que la fabrication, tandis que la terre ne se prêtera jamais à une extension indéfinie, pas même à une extension proportionnelle au nombre et à la richesse des habitans : d’où il résulte que, ceux-ci augmentant toujours, la valeur de la propriété foncière profite lentement, mais infailliblement, de ces progrès continus.

La terre n’a-t-elle pas d’ailleurs un charme indicible ? N’exerce-t-elle pas une gracieuse séduction ? Reposer sa tête chez soi, plan-