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se font entre eux les fermiers qui se présentent[1]. Donner sur l’estimation de la valeur locative d’un domaine des règles bien absolues serait donc chose difficile. Une appréciation de cette nature est d’ordinaire toute pratique, et convient à une expertise locale plutôt qu’à un travail théorique. Quoi qu’il en soit, la manière la plus commode d’utiliser un domaine rural composé de fermes ou de pièces de labour est encore de le louer à un cultivateur qui se charge de l’entreprise à ses risques et périls. Avec ce système, le propriétaire ne court aucun danger, pourvu que le fermier présente des garanties suffisantes et n’épuise pas les terres confiées à ses soins. Cultiver et payer, tel est alors le rôle de ce dernier ; le rôle du propriétaire consiste à regarder et à recevoir.

On se ferait néanmoins une grande et dangereuse illusion, si l’on s’imaginait qu’avec tout bail légalement mis en règle, les choses sont pour le mieux dans la plus facile des combinaisons possibles. Un bail est acte grave pour les deux parties contractantes, tellement grave que des agronomes, comme MM. de Gasparin, Girardin et du Breuil, etc., ont cru fortifier encore le caractère scientifique de leurs ouvrages en donnant des modèles de baux applicables à diverses situations agricoles. En effet, le preneur et le bailleur ont des intérêts solidaires, parfois identiques, parfois opposés. Le fermier veut payer moins, le propriétaire veut obtenir plus. Le fermier travaille à entretenir la terre dans sa fécondité pendant tout le temps qu’il l’exploite ; mais s’il ne consulte que son avantage personnel, il inclinera souvent, pendant les dernières années de son exploitation, à tirer des champs tout ce que ceux-ci renferment d’assimilable, à les laisser entre les mains de son successeur aussi misérables et appauvris que possible. Le propriétaire, de son côté, doit s’efforcer de maintenir toujours intacte la fertilité de son domaine, et même en poursuivre la constante amélioration, afin d’en obtenir ensuite un meilleur fermage. Il s’agit donc de concilier ces prétentions contraires. L’intervention du propriétaire peut-elle d’ailleurs entièrement cesser dès qu’un bail régulier a transféré au fermier tous les droits que le maître aliène ? Non, car un propriétaire ne doit pas seulement assurer l’avenir de ses intérêts, il doit aussi remplir dans toute son étendue la mission sociale qui résulte de la possession du sol. C’est ce que fera comprendre la suite de cette étude.

La première mesure de prudence qu’observera un homme expérimenté sera de ne louer sa terre qu’à un fermier assez honnête pour

  1. M. Menard à Huppemeau (Loir-et-Cher) paie de 4 à 6 francs par hectare, M. Decauville à Petit-Bourg (Seine-et-Oise) paie une centaine de francs ; l’un et l’autre réussissent, gagnent de l’argent, et obtiennent en récompense de leurs utiles travaux la grande prime d’honneur.