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lui offrir toutes garanties morales ; mais il ne suffit pas que les rapports qui doivent s’établir se ressentent d’une mutuelle estime et d’une certaine confiance. La bonne direction d’un domaine important exige encore de la part du fermier une intelligence supérieure au niveau moyen qui se trouve dans nos campagnes, et ici par intelligence on doit moins entendre cette faculté de l’esprit qui permet de saisir le sens des mots et des choses que cette qualité assez rare qui en apprécie sagement la portée et la valeur relative, et que, suivant les circonstances, on nomme adresse ou bon sens. La plupart des cultivateurs connaissent la partie matérielle de leur métier. Possèdent-ils tous une instruction théorique suffisante ? L’état arriéré de certaines provinces de la France ne permet pas de le croire. Toutefois, si l’instruction est un merveilleux instrument de succès quand elle est complète et accompagnée de bon sens, elle devient une cause de ruine quand elle est superficielle, parce qu’elle est alors la source de fausses analogies, de menteuses conséquences, de coûteuses et inutiles tentatives. Avec des demi-savans pour fermiers, il faudra donc se montrer plus sévère sur l’exact paiement des termes et l’entier accomplissement de toutes les conditions intervenues, car un sage routinier vaut mieux en définitive qu’un maladroit innovateur, et si la science agricole est, surtout dans une grande exploitation, un élément de fortune, elle ne vaut cependant rien sans le concours de la prudence. Grignon, Grandjouan, La Saulsaie, et, au-dessous de ces grands instituts, les fermes-écoles qui existent dans plusieurs de nos départemens, contribueront peu à peu à l’éducation tout à la fois pratique et théorique de nos futurs fermiers, tout comme Roville a autrefois déterminé les progrès agricoles du département de la Meurthe et la rapide adoption des instrumens perfectionnés par les propriétaires et les fermiers du nord-est. C’est du moins un résultat qu’on doit vivement désirer, lorsqu’on songe à la profonde ignorance de beaucoup de nos cultivateurs, et qu’on peut espérer, lors même que dans les écoles les mieux organisées on n’apprendrait guère qu’à apprendre[1].

Beaucoup de baux sont de courte durée ; ils obligent seulement le preneur à garnir la ferme d’un bétail « suffisant » et à cultiver comme « un bon père de famille, » en se conformant aux « usages du pays. » De telles conditions présentent le très grave inconvénient de ne pas assez préciser les droits et les devoirs de chacun ; elles ont aussi l’extrême tort d’emprisonner le cultivateur dans le cercle étroit de la routine. Avec des baux de courte durée, le fermier ne peut

  1. M. Léonce de Lavergne, Éloge historique de Royer, lu en 1859 à la Société d’agriculture.