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par le fermier. Celui-ci n’offrira donc de véritables garanties qu’autant qu’il sera plus fort que sa terre. Toutefois il est assez difficile d’indiquer avec précision quelles ressources il doit posséder : le chiffre en varie nécessairement selon les circonstances de sol, d’étendue, de débouchés, particulières à la ferme. Les départemens qui entourent Paris et qui constituent l’ancienne Ile de France sont ceux où la charrue tend chaque jour à labourer de plus grandes surfaces et à exiger le concours de capitaux plus considérables. La moyenne culture semble y disparaître devant cette industrie rurale que les Anglais appellent le high farming. Aussi peut-on conclure de cet exemple que, plus le pays sera riche, plus riche également devra être le fermier.

La seconde règle à suivre, c’est de consentir au fermier un bail assez long. Autrefois l’assolement triennal était presque partout le seul en usage. Avec une combinaison aussi simple et aussi régulière, il n’était pas besoin de beaucoup de temps par devers soi[1]. Que le bail expirât au bout de trois, de six, de neuf ou de douze années, les choses restaient à peu près dans le même état. Une rotation semblable ramenait périodiquement, et dans une mesure presque fixe, des résultats identiques. Pourquoi alors s’enchaîner indéfiniment ? Quelle raison avaient d’aliéner pour une longue période le maître son domaine, et le fermier sa liberté ? Ne valait-il pas mieux, sous un pareil régime, conserver chacun le droit de se quitter à sa guise ? Aujourd’hui les exigences de la culture sont plus grandes, plus compliquées. La main-d’œuvre coûte plus cher, le fermage devient plus lourd, en même temps grandit l’amour du bien-être matériel. Pour satisfaire à ces besoins nouveaux, il faut gagner davantage, obtenir de la terre des récoltes plus riches et plus nombreuses. Il faut donc perfectionner les procédés de culture, multiplier l’énergie des agens de fécondité que conseillent l’antique expérience et l’industrie moderne. Or le temps est nécessaire pour cette œuvre. Aussi tous les agriculteurs intelligens exigent-ils, avant d’entrer sur une ferme, la signature d’un long bail, et bien abusés sont les propriétaires que d’étroites considérations rendent hostiles à cette juste demande. Ils repoussent ainsi le seul moyen de donner à leurs terres une plus haute valeur. Croit-on, par exemple, que M. Decauville, cet habile fermier dont l’exploitation a obtenu la prime d’honneur de Seine-et-Oise en 1858, aurait pu dépenser 32,000 francs de drainage, empierrer 10 kilomètres de chemins et

  1. En parlant ainsi, on ne prétend pas que la longueur des baux soit indifférente dans le cas de culture triennale : on veut seulement dire qu’elle a pour ce système une bien moindre valeur que pour les autres assolemens qui commencent à s’introduire dans nos campagnes.