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mais on savait à Rome que Gildon attendait l’arrivée prochaine d’une flotte et d’une armée annoncées par Eutrope.

Pendant ces vaines tentatives de négociations qui ne ramenaient ni l’Afrique sous le sceptre de l’Occident, ni les blés de Numidie dans le port du Tibre, le sénat cherchait à calmer l’effervescence du peuple en dirigeant son esprit vers les espérances de la religion. Il fit célébrer en sa présence et sous son autorité les prières publiques ordonnées par son décret. Les prières, ou, pour parler le langage du rituel, la supplication adressée au ciel en temps de disette ou de sécheresse, portaient le nom de nudipedalia, parce qu’une partie du cortège y assistait pieds nus. Peuple, sénat, magistrats, se rendaient en corps sur la colline de Tarpéia dans l’attitude du deuil et de la douleur : les magistrats avaient quitté leur pourpre, les licteurs portaient leurs faisceaux renversés, et les matrones en grand nombre et en rang marchaient nu-pieds, vêtues de la stole et les cheveux rejetés en désordre sur les épaules. On s’arrêtait au Capitole : là, les prêtres invoquaient à haute voix, par leurs noms les plus redoutables, les dieux et les génies qui veillaient à l’alimentation du peuple romain, puis une victime était immolée avec pompe. Tel était l’ancien rite ; les lois nouvelles et l’existence du culte chrétien devaient l’avoir modifié en beaucoup de points, quand se célébrèrent les nudipedalia de l’année 397.

Gildon, ce terrible instrument des vengeances d’Eutrope, était issu des anciens rois de la Mauritanie : il comptait Juba parmi ses ancêtres, et cette descendance, qu’on ne mettait point en doute, lui donnait une suprématie également incontestable sur les chefs indigènes de l’Afrique : un auteur du temps nous dit qu’on voyait à sa suite tout un cortège de rois. Sa famille n’avait point cessé d’habiter Cyrtha, que son changement de nom ne rendait guère plus romaine, et que les Maures, soit indépendans, soit soumis, s’obstinaient à considérer toujours comme la capitale du roi Bocchus. Bien que les descendans de Juba eussent fait leur soumission d’abord à la république, puis à l’empire, et servissent avec des grades élevés dans les rangs des maîtres de leur pays, il ne s’était pas écoulé de siècle que Rome n’eût eu à réprimer quelque révolte dont ils étaient les provocateurs ou les chefs, mais que faisaient avorter leurs divisions intestines. On en avait eu un exemple bien récent sous le principat de Gratien. Firmus, un des six frères de Gildon, ayant levé le drapeau de l’indépendance et pris le titre de roi de Mauritanie, Gildon avait soutenu la cause romaine et coopéré plus que personne à la défaite de son frère. Gratien l’en avait récompensé par le titré de comte d’Afrique et par le commandement de la province, et pour se l’attacher personnellement, Théodose avait marié au neveu de sa