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primes d’honneur des concours régionaux. Où rencontre-t-on le succès, où admire-t-on le profit ? N’est-ce pas sur les domaines que leurs propriétaires ont successivement amenés d’un état médiocre à un état passable, d’un état passable à un état fertile, en se contentant tout d’abord de faire du fromage dans le Cantal, du blé dans la Beauce, et du vin dans le Médoc ? Nous ne saurions jamais assez recommander l’étude des lois naturelles du pays que l’on habite. Dans un terrain humide, on commence par le drainage ; dans un terrain privé d’élémens calcaires, on commence par le marnage. Si le sol se couvre d’herbes facilement, on le transforme en pré ; s’il se dessèche de bonne heure, on se contente de seigle, et on ne lui demande pas du blé. Les semis d’arbres résineux ou d’essences à feuilles caduques permettent de fixer les sables, d’utiliser les terrains dépourvus d’humus. On ne sème de betteraves et on ne plante de houblon que dans les contrées où se trouvent assez de bras pour satisfaire à toutes les exigences de telles cultures. La main-d’œuvre manque-t-elle : on a recours aux céréales qui nécessitent moins de travail, et surtout aux animaux qui vont eux-mêmes chercher leur nourriture et porter sur les marchés lointains la plus-value dont ils se sont chargés. Quant à ces cultures jardinières et à ces divers produits qui réclament tant de soins, dont la vente exige le voisinage des grands centres de population, nous ne les conseillerons jamais aux propriétaires qui n’appliquent pas à leurs champs leurs bras mêmes et ceux de leur famille. Cette modeste soumission aux circonstances extérieures est sans doute bien loin de ce qu’ont pu combiner dans leur cabinet d’étude de trop ardens néophytes ; mais vouloir conformer la culture des contrées pauvres à la culture des pays riches, c’est aboutir à compromettre le progrès et à décourager les hommes d’initiative. La transformation des landes de Grand-Jouan en bonnes terres arables a fini par coûter à M. Rieffel une somme égale à leur valeur vénale actuelle, parce qu’il avait d’abord voulu se hâter un peu. Ces considérations feront comprendre aussi pourquoi la carrière agricole ne convient pas toujours à ceux que l’on nomme d’ordinaire des savans. Le savant proprement dit est trop curieux des tentatives d’acclimatation ou des essais d’amélioration rapide pour faire souvent fortune en agriculture. La ferme ne doit être ni un muséum ni un laboratoire expérimental ; c’est une fabrique, et quiconque l’oublie paie cher sa méprise.

Avant donc de prendre à son compte une grosse entreprise agricole, le propriétaire devra s’imposer une sorte d’apprentissage : des essais sur un coin du domaine, des conversations avec les paysans, des voyages, des lectures, enfin des études sérieuses devront précéder chez l’homme du monde une pareille détermination. Il est