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certain d’ailleurs que nul propriétaire aisé qui voudra entreprendre la culture de ses terres ne réussira, s’il n’en sait pas plus et s’il n’opère pas beaucoup mieux que les paysans qui l’environnent. Ces derniers, en effet, procèdent d’une manière plus économique. Ils surveillent mieux leurs ouvriers, dont ils partagent souvent la vie et les travaux ; ils peuvent davantage se montrer sévères jusqu’à l’avarice dans la discussion du prix des choses ; enfin leurs domestiques mêmes sont moins exigeans à leur égard. C’est donc par une action mieux raisonnée et plus énergique, c’est-à-dire par plus de science et plus de capital, que le propriétaire doit assurer ses succès.

On prétend volontiers à la campagne que l’argent qu’on ne débourse pas est le premier gagné. Ce dicton est absurde, car l’argent qu’on enfouit ne peut rien produire, et la bonne administration d’une ferme constitue une plus grosse opération financière qu’on ne le suppose souvent. Dépenser plus qu’il n’est utile est une faute ; mais reculer devant une dépense qui doit être couverte par de beaux résultats n’est pas une faute moins grande. L’Institut de Grignon fait à chacun de ses hectares en culture une avance de 1,000 fr. Sans s’aventurer dans des chiffres aussi élevés, toujours est-il qu’il faut acheter des bestiaux et des instrumens, parfois construire des bâtimens et des chemins, faire drainer, épierrer, marner, planter, entourer de haies ou de fossés les terres ou les prés qu’on exploite, nourrir les animaux, payer les salaires, se procurer les premières semences, attendre pour les ventes un moment propice, et en attendant ne rien retirer de sa ferme. Tout cela exige, outre le capital foncier, qui ne sert qu’à fournir le champ d’opération, un capital d’amélioration et un capital de circulation proportionnés à l’état du domaine, aux conditions économiques du voisinage et au système de culture adopté. Quiconque ne peut aborder sa ferme avec un capital suffisant, c’est-à-dire avec un capital supérieur au chiffre d’avances que font les fermiers ordinaires, doit la louer et ne pas l’exploiter lui-même. Aujourd’hui, avec des salaires élevés, avec la certitude qu’on ne réalise de profits qu’à la suite de longs sacrifices, il faut pouvoir disposer d’une somme importante. En agriculture comme à la guerre, l’argent est devenu le nerf des choses. Souvent d’ailleurs le propriétaire qui se consacre à l’exploitation de son domaine trouve des champs épuisés par une culture mauvaise, ou des landes abandonnées depuis longtemps aux hasards de la nature. Après avoir assaini et ameubli la couche arable, il doit accumuler dans cette couche la plus grande masse possible d’humus. Pour cela, il faut enfouir des plantes vertes dans les terrains légers, épandre des amendemens et de pailleux fumiers dans les terrains