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compactes, diminuer la proportion des récoltes épuisantes, étendre la surface des récoltes fourragères, augmenter le nombre des animaux, recueillir attentivement comme moyens de fertilité les purins, les moindres débris, et les transformer en composts. Parfois même on a intérêt plus tard à créer sur la ferme une industrie accessoire dont le but principal est de multiplier les engrais. On comprendra que lorsqu’il faut surmonter par de tels moyens la résistance que présente la pauvreté du sol, la proportion du capital disponible joue en agriculture un rôle d’une importance toute spéciale[1] ; le rôle fertilisateur des bras peut être regardé comme fini en France, parce que chez les nations avancées le capital est fatalement destiné à remplacer, comme agent utile de production, la main de l’homme. C’est pour n’avoir pas abordé Roville avec toutes les ressources nécessaires, plus encore que pour s’être parfois trop abandonné à ses goûts de savant, que l’illustre Matthieu de Dombasle n’a pu solder qu’avec perte les comptes de sa ferme[2]. De pareils souvenirs sont tristes, surtout parce qu’ils tiennent éloignés de la vie rurale ceux-là mêmes qui peuvent rendre à la science agricole les plus éminens services. Heureusement on peut citer aujourd’hui bien des hommes instruits et distingués qui, ayant fait de l’agriculture une occupation sérieuse et non pas un amusement, ont vu leur sagesse et leur persévérance couronnées par de brillans bénéfices. C’est ce que prouvent avec plus de force chaque année les rapports des commissions chargées de visiter les domaines des concurrens pour nos primes d’honneur agricoles. En recherchant dans les annales du succès d’encourageans exemples, il ne faut cependant pas négliger les leçons de prudence qu’elles fournissent aussi.

  1. À Treulan, près d’Auray, M. Bonnemant possède des landes qui lui ont coûté 500 francs l’hectare. Pour convertir ces terrains en prairies, il a fallu dépenser 906 fr. par hectare (défrichement, drainage, nivellement, fumure, labours et semailles) ; mais tout aussitôt le profit net annuel de ces landes s’est élevé à 90 fr. par hectare. De semblables opérations ne sont possibles qu’aux hommes qui disposent d’un capital considérable ; toutefois, avec moins d’argent et plus de temps, il est permis d’atteindre souvent les mêmes résultats. Ainsi M. Guibal tire aujourd’hui de son domaine de La Barrarié (Tarn) un revenu de 93 francs par hectare, tandis qu’il n’en obtenait que 47 francs il y a une vingtaine d’années, et ce résultat n’a pas exigé des avances immédiates d’une grande importance. En définitive, payer tout de suite beaucoup pour réussir aussitôt, ou payer peu à peu pour attendre longtemps, n’est-ce pas toujours, sous une double face, la même question de capital ? Ce sont les circonstances qui doivent entraîner notre décision.
  2. On sait que Matthieu de Dombasle n’était que le fermier de Roville ; si donc nous l’avons pris pour exemple, en parlant des propriétaires cultivateurs, c’est que nous avons voulu tout à la fois évoquer au sujet de l’importance des capitaux l’autorité d’un grand nom, et ne pas demander à nos contemporains des souvenirs qui auraient pu affliger des hommes encore vivans.