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mêmes la culture de leurs domaines[1]. Certes la différence des mœurs et des institutions ne permet pas de recommander ici la copie servile de ce qui se passe de l’autre côté du détroit ; mais comme les goûts champêtres des classes aisées sont pour beaucoup en Angleterre dans les progrès agricoles du pays, et peut-être aussi pour quelque chose dans le maintien du rôle utilement conservateur que joue l’aristocratie, il est opportun de comparer nos habitudes sous ce rapport à celles de nos voisins. En France, dès que l’on possède quelque aisance, on quitte les champs pour venir habiter la ville. En Angleterre, dès qu’on a pu acquérir quelque fortune, on se hâte d’établir à la campagne sa résidence principale. Notre aristocratie a conservé, depuis Louis XIV, un amour des villes qui semble toujours vivace, tandis que l’aristocratie anglaise, fidèle à ses intérêts et à ses traditions, tient à retremper chaque année dans le sol son influence seigneuriale. Le manoir du lord est aux champs ; c’est là qu’il donne ses plus belles fêtes, là qu’il reçoit ses amis. Son hôtel de Londres ne le voit que peu de temps. Quant aux grandes villes, ce ne sont plus en quelque sorte que des rendez-vous d’affaires, où se réunissent les industriels, les commerçans et les ouvriers. Peut-être le caractère indépendant de l’Anglais contribue-t-il à maintenir cet usage, qui le laisse seul avec sa famille en face de la nature. Par sa présence aux champs, le propriétaire anglais maintient en effet le prestige moral de ses droits ; il donne autour de lui l’exemple du travail intellectuel, en même temps que sur sa réserve (home-farm) il se livre à d’utiles essais, qui tendent à perfectionner la culture du domaine et les procédés agricoles de tout le pays. Le country gentleman et le landlord, grâce à une résidence plus ou moins constante sur leurs terres, à une préoccupation continuelle des affaires locales, entretiennent donc avec les petits propriétaires voisins et avec les laboureurs du comté des rapports constans, qui tournent à l’avantage commun. Ceux-ci restent plus attachés, ceux-là plus influens. Les premiers conservent une action importante, ils sont les magistrats du pays ; c’est par eux seuls que le comté et par suite la nation se gouvernent. En France, où d’autres mœurs nécessitent, il est vrai, un autre mode d’administration, l’abandon des champs et de la vie rurale par les propriétaires aisés laisse dans beaucoup de provinces la misère sans secours suffisans, l’ignorance sans guide, les intérêts locaux sans défense efficace contre les empiétemens d’intérêts plus puissans. L’indifférence naît de l’éloignement, et en même temps que le maître ne trouve plus dans le travail

  1. M. Léonce de Lavergne, Revue du 1er mars 1853.