Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

science, les polygénistes doivent répondre par des raisons exclusivement de même nature, sous peine de mériter tous les reproches qu’ils prodiguent si aisément.

Mais, nous dit-on, « tous les monogénistes ont eu et ont encore le tort immense d’invoquer comme preuve à l’appui de leurs idées une autorité qu’il n’est pas permis de discuter[1]. » Cette assertion est au moins étrange. Si, comme le polygénisme, mais pas plus que lui, le monogénisme a ses théologiens, il a aussi, et en plus grand nombre peut-être que son antagoniste, des partisans qui n’ont jamais quitté le terrain des sciences naturelles. Pour ne citer que trois noms, Buffon, Müller et Humboldt n’ont certainement pas cherché leurs convictions ailleurs. Or qu’on ouvre l’Histoire naturelle, le Manuel de physiologie ou le Cosmos, on n’y trouvera guère d’argumens tirés de la Bible, mais bien des opinions en complète harmonie avec toutes celles que nous avons exposées, des conclusions semblables aux nôtres. À vrai dire, nous n’avons fait que marcher dans la voie ouverte par ces grands maîtres, et c’est au lecteur à juger si nous avons eu recours à des autorités surnaturelles. Laissons donc de côté ces assertions sans fondement, ces allégations inexactes ; laissons à chacun ses croyances religieuses ou philosophiques, et arrivons aux seules objections qui méritent qu’on s’y arrête, à celles qu’on soulève au nom de la science même.

Nous ne pouvons en vérité accepter comme sérieuses celles qui n’ont d’autre fondement que l’incertitude de quelques résultats de la pratique journalière. Il est très vrai que les botanistes, que les zoologistes ont parfois de la peine à se mettre d’accord sur quelques déterminations spécifiques, et que les uns considèrent comme des espèces distinctes ce que d’autres regardent comme des races ou même de simples variétés ; mais on a singulièrement exagéré le nombre de ces divergences. Pour employer le langage des classificateurs, nous dirons qu’à côté d’une espèce douteuse on en trouve cent et plus de très bonnes sur le compte desquelles tout le monde est d’accord. Arguer de ces difficultés de l’application à des cas isolés pour mettre en doute la réalité de l’espèce, c’est agir comme si on niait l’existence des lois astronomiques, parce que l’observation des astres ne coïncide pas rigoureusement avec le calcul, parce que les résultats donnés par deux observateurs également habiles ne sont pas toujours identiques, parce qu’entre mathématiciens même, il se manifeste parfois des divergences profondes au sujet de certaines théories spéciales. Cette objection n’en est pas moins une de celles qu’on adresse le plus souvent à ceux qui accordent à

  1. De la Pluralité des Races humaines, par M. George Pouchet.