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que « les espèces ne changent plus, parce qu’elles ont déjà changé autant qu’elles pouvaient le faire. » Mais que font toutes ces possibilités, et bien d’autres qu’on semble vouloir nous opposer, à la distinction, dans l’ordre actuel des choses, de l’espèce et de la race, et par suite à la réalité de la première ? De ce qu’aux anciens âges du monde les phénomènes auraient été différens de ceux qui caractérisent notre époque, s’ensuit-il que ce qui est démontré exister aujourd’hui puisse être mis en doute ? Évidemment non, pas plus que les divergences d’opinion entre naturalistes sur la période embryogénique du monde ne détruit leur accord unanime « sur la manière de concevoir l’espèce au point de vue taxonomique » dans le temps présent. Or quel est le but de ces études ? Il s’agit, ne l’oublions pas, de savoir si les groupes humains actuellement répandus sur la surface du globe sont des espèces distinctes ou les races d’une seule espèce. La question est donc tout entière du temps présent et tout entière de taxonomie[1]. L’accord qu’avec M. Geoffroy nous signalions entre les diverses écoles a donc toute sa valeur.

De tout ce qui précède, il résulte qu’avant d’aborder la question anthropologique, il est absolument nécessaire de s’être fait une idée nette de l’espèce et de la race. Tout au moins est-il indispensable de définir ces mots, sur lesquels, roule toute la controverse. Les polygénistes s’astreignent-ils à ces conditions élémentaires de toute discussion sérieuse ? Nullement. L’immense majorité d’entre eux se bornent à critiquer la définition de l’espèce telle qu’elle a été proposée ou telle qu’ils pensent qu’elle a été formulée par ceux qu’ils attaquent ; mais ils ne donnent pas la leur, ils ne parlent pas de la race. Plusieurs confondent manifestement les deux choses, comme le fait par exemple M. Pouchet, qui s’exprime ainsi dans sa préface : « La conclusion à laquelle nous arrivons, la pluralité de races originelles, autrement dit la pluralité des espèces du genre homme, pourra paraître violente… » Il en est même, comme Knox, qui déclarent nettement qu’à leurs yeux les mots espèce, race, variété n’ont aucune importance, et qu’on les comprend sans pouvoir les définir. Comment s’entendre, ou, pour mieux dire, comment discuter avec de semblables adversaires, qui ne vous, disent même pas le sens attaché par eux aux mots qu’ils emploient, qui ne définissent pas les choses dont il s’agit, qui confondent ainsi deux choses distinguées par tous les naturalistes, et ne vous en déclarent pas moins battus au nom de la science et de la philosophie[2] ?

  1. La taxonomie est cette branche des sciences naturelles qui s’occupe de la détermination et de la classification des espèces.
  2. Le mot de philosophie est un de ceux qui reviennent le plus fréquemment dans les ouvrages polygénistes. De la manière dont il est parfois appliqué, on serait autorisé à conclure que ni Buffon, ni Geoffroy Saint-Hilaire, ni Lamarck lui-même ne méritent aux yeux des polygénistes le titre de naturalistes philosophes.