Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/452

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au sauvage comme chez nous à la bête féroce, et les jurys locaux trouvèrent tout simple que la torture précédât la mort quand il s’agissait de ces prétendus anthropophages[1]. Est-ce là ce qu’on peut appeler « vivre en contact sur la même terre, » comme le fait M. Jacquinot ? Les conséquences de cette effroyable guerre furent l’éloignement ou la destruction des indigènes, dont un petit nombre seulement resta mêlé aux blancs, qui leur avaient appris de nombreux et tristes besoins. Pour y satisfaire, ces sauvages viciés recoururent à toute sorte de moyens, entre autres à la prostitution de leurs femmes. Or personne n’ignore quelles sont, au milieu même de nos grandes villes, les suites de la prostitution. Est-il étonnant que des voyageurs aient rencontré dans les centres populeux de la Nouvelle-Hollande ce que Parent-Duchâtelet a si bien constaté à Paris ? La rareté des enfans issus de pareilles unions n’a donc rien qui doive surprendre. Ajoutons qu’elles ne sont pourtant pas constamment infécondes en Australie pas plus qu’en Europe, mais que le mari australien tue habituellement les enfans mulâtres. Ce fait a été ou révoqué en doute ou formellement nié par quelques polygénistes, il a même été traité tout récemment de conte populaire ; mais il est affirmé par des voyageurs qui ont passé plusieurs années au milieu de ces populations, par Cuningham, par Mackenzie[2], et ici encore le lecteur jugera lequel des deux témoignages doit être accepté.

L’infanticide d’ailleurs n’est que trop fréquent chez les plus misérables tribus de l’Australie. S’il naît deux jumeaux, l’un d’eux est d’avance condamné à périr. Chez ces tribus aussi, quand la mère meurt, l’enfant à la mamelle est enseveli dans la même tombe, et Bénilong, ce sauvage qui, après avoir vécu de la vie des blancs en Angleterre et à Sidney, revint plus tard à la vie errante, est cité comme ayant commis cette barbarie. À ceux qui la lui reprochaient, il répondit que, la mère morte, et aucune femme ne pouvant se charger d’allaiter son fils, il avait évité à celui-ci une mort plus douloureuse. La faim, cette mauvaise conseillère, est donc la cause de ces coutumes cruelles, et comment s’étonner que l’Australien les applique avec plus de rigueur encore aux enfans dont la couleur trahit l’origine étrangère ? Mais il est en Australie des districts où la nourriture est plus assurée et où la mère peut plus aisément écouter la voix de la nature, le père putatif celle de l’indulgence. Aussi sur les bords de la Murrumbidgee et de la Murray trouve-t-on dans chaque tribu de nombreux métis. Butler Earp et Mackenzie sont tous deux complètement d’accord sur ce point. Tous deux emploient cet

  1. L’amiral Dupetit-Thouars a été témoin de ce fait pendant son séjour à Sidney. Voyage autour du monde sur la frégate la Vénus.
  2. Ten years in Australia.