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mis en prison, en attendant l’arrivée de Mascczel ; mais Gildon ne voulait pas tomber entre les mains de son frère : il s’étrangla dans son cachot.

Mascezel ne jouit pas longtemps de sa victoire : appelé en Italie pour y recevoir les félicitations de l’empereur et probablement aussi le commandement de la province qu’il avait recouvrée, il se noya, près de Milan, au passage d’une rivière, en se rendant avec Stilicon dans une villa voisine. Avec des haines toujours aux aguets pour dénaturer les moindres faits, aucun accident ne restait sur le compte du hasard. Stilicon devint coupable de celui-ci. Un écrivain païen et grec nous raconte que, jaloux de la gloire dont le prince maure venait de se couvrir, le régent lui avait tendu un piège en l’aventurant sur un pont en ruine, ou plutôt en le faisant jeter du haut des parapets dans le fleuve par les gens de sa suite, et qu’il riait lui-même aux éclats tandis que le malheureux luttait contre la mort. Telles sont les invraisemblances odieuses dont fourmille l’histoire de ce temps de discorde, où les passions politiques, religieuses et personnelles travaillaient comme à l’envi à obscurcir la vérité.

L’Afrique était donc recouvrée, le nom d’Honorius rétabli dans les actes et sur les étendards de la province, et l’intervention armée de l’Orient prévenue assez à temps pour que le gouvernement de Constantinople pût se retirer ou se justifier sans trop de honte : la guerre cessait d’être imminente entre les deux frères. D’un autre côté, Alaric avait été maintenu dans les limites de son cantonnement par la ferme attitude de l’Italie. De sages mesures avaient conjuré la famine, non pas, il est vrai, toutes ses angoisses, mais du moins ses plus effroyables extrémités. On devait ce résultat au génie de Stilicon, à sa décision hardie et sûre comme directeur d’une guerre lointaine, à son habileté comme administrateur, à cette incessante activité qui lui permettait de tout surveiller, de pourvoir à tout à la fois. Le sénat aussi lui devait son rétablissement dans des droits politiques importans, et l’en payait par une vive reconnaissance. On lui savait gré encore de la modération dont il ne s’était jamais départi dans sa correspondance avec la cour orientale : rien de personnel, rien de provoquant n’avait envenimé des rapports difficiles ; ses lettres, constamment fermes, n’avaient jamais manqué de mesure. Il n’avait pas même fait une affaire d’état du complot dirigé et presque exécuté contre sa vie ; il semblait, par un oubli dédaigneux, excuser ce procédé politique, comme naturel à son rival. Pour tout résumer par un mot des contemporains, sa conduite fut jugée « digne du Latium. » On oublia les fautes du Péloponèse, et la popularité du régent s’accrut de toutes les frayeurs qu’il avait dissipées. Le sénat, de ce côté des mers, les villes africaines, de