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au chameau étant venue à se briser, il fallut songer à descendre. Or j’avais des éperons, et l’un d’eux s’engagea dans le cuir mou de la selle, de telle sorte que, manquant mon élan, je glissai autour du cou du chameau, justement à la place tout à l’heure encore occupée par la panthère, qu’il venait heureusement de secouer au moyen d’un effort vigoureux. Je ne sais s’il se crut attaqué de nouveau ; mais il se remit à jouer des pieds de devant, et en peu d’instans il me faussa trois côtes. Mon rifle était, dans la bagarre, allé Dieu sait où. J’arrivai donc à terre, fort moulu d’ailleurs, sans autre arme que mon sabre, bien décidé à découper tout ce qui me tomberait sous la main, panthère ou chameau ; mais ma bonne volonté demeura pour cette fois inutile, et je n’eus d’autre ressource que de m’aller faire panser.

Une autre fois je me trouvai sur un arabe plein de feu avec une panthère littéralement en façon de porte-manteau. Sa gueule n’était pas à plus d’un pied de mes hanches. À quoi sert un fusil en pareille situation ? Mon cheval bondissait à hauteur de tête, et détachait de si belles ruades qu’il se dégagea de la terrible étreinte. La fin du combat fut assez curieuse. Descendu de cheval, et après avoir renvoyé toute la compagnie, à l’exception de mes deux shikarees, je pris position devant le buisson où, après ce bel exploit, la panthère s’était retirée. De là je commençai un véritable bombardement qui n’eut aucun résultat. Las de perdre ainsi mon plomb et ma peine, j’expédiai mes deux chiens dans le fourré. L’un se sauva, éperdu de terreur ; l’autre, mon brave Shairoo, entra résolument dans le buisson ; mais, sans risquer autre chose qu’une de ses pattes de devant, la panthère me le renvoya l’épaule ouverte et à moitié écorchée. Je recommençai la fusillade sans plus de succès qu’auparavant. À la fin j’entendis un grognement sourd qui me fit croire que le coup de mort était enfin porté. Je m’approchai, j’explorai le buisson… La panthère avait disparu.

Pendant que je réfléchissais sur cet incident inattendu, un cri perçant arrive à mes oreilles. Le duffadar, à cheval, n’était pas loin, je l’envoie dans la direction d’où venait cette clameur de détresse. Moi-même je demande mon cheval, dont on lavait les plaies ; mais avant qu’il eût pu m’être amené, je vois, se détachant sur le fond clair de l’horizon embrasé, la silhouette d’un homme qui s’enfuyait à toutes jambes. Je saute en selle, je galope vers mon duffadar, que je trouve auprès de son cheval grièvement blessé. En arrivant où je l’envoyais, il avait vu l’homme en question, debout contre un arbre : — Où est la panthère ? fut sa première demande. — Ne voyez-vous pas qu’elle me dévore ? — lui répond l’autre. Et c’était vrai. Ce malheureux (un pauvre barbier nomade) avait le bras dans la gueule de l’animal, qui le mâchait et remâchait à loisir. Le duffadar voulut