Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/490

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE
REVE D'UNE REINE D'ASIE


I.


C’est l’heure où le soleil, teignant d’or le ciel bleu,
De ses traits acérés fend la terre et le marbre ;
L’heure où, sous le feuillage environné de feu,
L’ombre qui se replie expire au pied de l’arbre.

Le grand aigle ébloui détourne ses yeux bruns ;
L’immobile serpent cache ses nœuds de cuivre ;
Près du tigre engourdi par les acres parfums,
La gazelle et le cerf peuvent dormir et vivre.

C’est l’heure du sommeil. En un secret séjour
Où l’air est humecté d’un jet d’eau qui l’arrose,
Où des rideaux épais amollissent le jour,
Une reine d’Asie indolemment repose.

Le plumage aux cent yeux de l’éventail ailé,
Plein d’un vent rafraîchi, sur son front se balance,
Et pourtant son sommeil est inquiet, troublé.
Quelques mots dits tout bas volent dans le silence :

— Regardez : quel nuage a traversé son front ?
— L’ombre de l’éventail qui se lève et s’incline ?
— Sur sa bouche un moment l’haleine s’interrompt,
Et fait à flots pressés onduler sa poitrine !

— C’est que ton bras s’arrête, et qu’un air moins léger,
Un air chargé de feu, jusqu’à son lit pénètre ;