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jusqu’au décret du 24 novembre, les séances du corps législatif ne recevaient qu’une publicité incomplète. Dans le mystère ou le demi-jour, les relations de ces assemblées avec le pouvoir étaient bien plus faciles à ménager qu’elles ne le seront désormais. Des assemblées dont les paroles n’arrivent point au public, ou ne lui parviennent que comme un vagué et lointain murmure, sont naturellement modestes. Elles ne sont pas responsables envers l’opinion, puisqu’elles ne s’adressent point à elle : n’étant point responsables envers l’opinion, elles n’ont pas la prétention d’être puissantes auprès du gouvernement ; mais on peut dire que ces mêmes assemblées changent de nature du moment ou elles deviennent comptables de leurs délibérations et de leurs résolutions vis-à-vis du public. Leur pouvoir grandit avec leur responsabilité. L’on peut prévoir que les opinions qui règnent dans leur sein auront bientôt le sentiment de cet accroissement simultané de responsabilité et de puissance, qu’elles feront des efforts progressifs pour réunir et discipliner leurs représentans et leurs organes, et qu’elles chercheront inévitablement à établir leur influence sur le gouvernement dès que, s’étant exprimées et constituées par des majorités, les circonstances leur permettront de satisfaire leurs tendances naturelles. Ceux qui, en tenant pied sur le présent, regardent dans l’avenir doivent avoir devant les yeux cette perspective. Pour eux, l’intérêt de ce début de vie parlementaire auquel nous assistons n’est point concentré seulement sur les questions qui se débattent au corps législatif et au sénat. Pour eux, les premiers. tâtonnemens des opinions qui cherchent à se reconnaître et à se poser sont un attachant sujet d’étude. Ils suivront avec curiosité, et non sans profit, même les simples mouvemens de ce mécanisme parlementaire qui s’était rouillé et qui essaie de faire jouer ses ressorts. Il y aura là, à côté du fonds des affaires, dont l’esprit public est justement ému, des procédés et des accidens de forme qu’il importe de prendre en considération, d’encourager ou de redresser par des conseils opportuns.

Parmi ces procédés et ces questions de forme, qui ont une si grande importance dans la vie publique, pourquoi ne signalerions-nous point ici en passant l’infirmité du discours écrit, par laquelle le sénat et le corps législatif se sont laissé envahir ? Nous sommes reportés ainsi à l’enfance du régime parlementaire, à l’époque de la restauration, à ce temps où la parole publique, timide, mal assurée, essayait ses premiers balbutiemens. Les historiens de la restauration font allusion à cette habitude du discours écrit avec une ironie moqueuse. Nous sommes loin d’appliquer à cette défiance d’eux-mêmes, dont témoignent la plupart des orateurs inexpérimentés du jour, un blâme trop sévère. Il faut pourtant qu’ils se guérissent le plus tôt possible de la maladie du discours écrit. Au fond, ce procédé est une infraction plus grave qu’on ne suppose aux principes du régime représentatif. En Angleterre, il n’est pas permis aux membres du parlement de lire des discours. Il y a quelques années, un membre de la chambre des communes, doutant de son éloquence, s’avisa de lire quelques pages qu’il avait, comme un écolier, placées