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pines. — Nous nous piquerons les doigts. — Mais les trois quarts des gens jetteraient là ces spéculations comme oiseuses. — Tant pis pour eux. Pourquoi vit une nation ou un siècle, sinon pour les former ? On n’est complétement homme que par-là. Si quelque habitant d’une autre planète descendait ici pour nous demander où en est notre espèce, il faudrait lui montrer les cinq ou six grandes idées que nous avons sur l’esprit et le monde. Cela seul lui donnerait la mesure de notre intelligence. Exposez-moi votre théorie ; je m’en retournerai plus instruit qu’après avoir vu les tas de briques que vous appelez Londres et Manchester.


I. — l’expérience.

i.

— Alors prenons les choses en logiciens, par le commencement : admettez-vous qu’il y ait une logique ? — Cela dépend. — Admettez-vous qu’il y ait certaines choses distinctes dont la logique fasse son domaine, et dont nulle autre science ne fasse son domaine ? — Oui, si vous me les montrez. — Vous n’avez qu’à ouvrir les yeux, ces choses sont les sciences : non-seulement il y a des plantes et des animaux, mais encore il y a une botanique et une zoologie ; non-seulement il y a des lignes, des surfaces, des volumes et des nombres, mais encore il y a une géométrie et une arithmétique. Les sciences sont donc des choses réelles comme les faits eux-mêmes : elles peuvent donc être, comme les faits, un sujet d’étude. On peut les analyser comme on analyse les faits, rechercher leurs élémens, leur composition, leur ordre, leurs rapports et leur fin. Il y a donc une science des sciences : c’est cette science qu’on appelle logique, et qui est objet du livre de Stuart Mill. On n’y décompose point les opérations de l’esprit en elles-mêmes, la mémoire, l’association des idées, la perception extérieure : ceci est une affaire de psychologie. On n’y discute pas la valeur de ces opérations, la véracité de notre intelligence, la certitude absolue de nos connaissances élémentaires : ceci est une affaire de métaphysique. On y suppose nos facultés en exercice, et on y admet leurs découvertes originelles. On prend l’instrument tel que la nature nous le fournit, et on se fie à son exactitude. On laisse à d’autres le soin de démonter son mécanisme et la curiosité de contrôler ses résultats. On part de ses opérations primitives ; on recherche comment elles s’ajoutent les unes aux autres, comment elles se combinent les unes avec les autres, comment elles se transforment les unes les autres, comment, à force d’additions, de combinaisons et de transformations, elles finissent par composer