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la seconde un expédient du langage. La première exprime une relation possible entre trois lignes droites, la seconde donne le nom de cette relation. La première seule est fructueuse, parce que seule, conformément à l’office de toute proposition fructueuse, elle lie deux faits. Comprenons donc exactement la nature de notre connaissance : elle s’applique ou aux mots, ou aux êtres, ou à tous les deux à la fois. S’il s’agit de mots, comme dans les définitions de noms, tout son effort est de ramener les mots aux expériences primitives, c’est-à-dire aux faits qui leur servent d’élémens. S’il s’agit d’êtres, comme dans les propositions de choses, tout son effort est de joindre un fait à un fait, pour rapprocher la somme finie des propriétés connues de la somme infinie des propriétés à connaître. S’il s’agit des deux, comme dans les définitions de nom qui cachent une proposition de chose, tout son effort est de faire l’un et l’autre. Partout l’opération est la même. Il ne s’agit partout que de s’entendre, c’est-à-dire de revenu, aux faits, ou d’apprendre, c’est-à-dire de joindre des faits.


III

— Parfaitement déduit ; voilà un logicien ; ce sont les idées de Locke, mais maniées par un esprit plus fort et plus fin. Toutefois voyons-le à l’épreuve ; il aura plus de peine à entamer la théorie de la démonstration. Personne n’y a touché depuis deux mille ans ; on a mis sur le même rang les analytiques d’Aristote et la géométrie d’Euclide ; on les a considérées également comme des vérités acquises, définitives, inattaquables. Que dira Mill contre ce syllogisme : « Tous les hommes sont mortels ; le prince Albert est un homme, donc le prince Albert est mortel ? » Voilà le modèle de la preuve, et toute preuve complète se ramène à celle-là. Or qu’y a t-il dans cette preuve ? Une proposition générale concernant tous les hommes qui aboutit à une proposition particulière concernant un certain homme. De la première on passe à la seconde, parce que la seconde est contenue dans la première. Du général on passe au particulier, parce que le particulier est contenu dans le général. La seconde n’est qu’un cas de la première, sa vérité est enfermée par avance dans celle de la première, et c’est pour cela qu’elle est une vérité. En effet, sitôt que la conclusion n’est plus contenue dans les prémisses, le raisonnement est faux, et toutes les règles compliquées du moyen âge ont été réduites par Port-Royal à cette seule règle, que la conclusion doit être contente dans les prémisses. Ainsi toute la marche de l’esprit humain quand il raisonne consiste à reconnaître dans les individus ce qu’il a connu de la classe, à affirmer en détail