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et j’appris des officiers du bord que les chaudières avaient été entièrement changées depuis un an. Ce steamer, il faut le dire, avait sauté une première fois avec sa cargaison de voyageurs. Il vivait donc sur sa mauvaise réputation, et sans doute, bien qu’avec des chaudières neuves, il ne s’est pas encore lavé à cette heure, aux yeux du public san-franciscain, de ses méfaits des temps passés. — Le Bragdon a-t-il enfin sauté ? demandent toujours bien des voyageurs californiens, qui semblent attendre cette épreuve définitive pour reprendre place à bord de ce vapeur.

Le voyage de San-Francisco à Stockton ou à Sacramento est le plus agréable qu’on puisse faire en Californie. En quittant les wharves ou quais, on passe devant l’étroit goulet par où pénètrent les eaux du Pacifique, puis on entre dans la baie de San-Pablo, qui fait suite à celle de San-Francisco. On rencontre, sur des îlots arides, une nuée d’innombrables pélicans, cormorans et autres oiseaux marins. Gorgés de poissons, ils préludent avec un religieux recueillement à leur digestion d’abord, puis à la confection du moderne guano. Quand on les voit là par milliers, couvrant le rocher sur lequel ils se posent de manière à ne laisser aucune place vide, on comprend aisément que tant d’opérateurs à la fois finissent à la longue par déposer une couche appréciable de leurs excrémens si précieux. La baie de San-Pablo est assez éloignée de la pleine mer pour être toujours calme, et l’on se croirait dans un lac de la Suisse. Les petits navires aux blanches voiles que l’on croise à chaque pas, le mont du Diable, que l’on aperçoit à droite, élevant, dans le fond bleu du ciel, son piton isolé jusqu’à près de quatre mille pieds, tout concourt à compléter l’illusion. En quittant la baie de San-Pablo pour entrer dans la troisième baie, celle de Suisun, on touche d’abord à Mare-Island, arsenal et station navale de la marine fédérale dans le Pacifique, ensuite à Benicia, où sont établis d’abord les ateliers de la puissante compagnie maritime Pacific Mail, ensuite le quartier-général de l’armée fédérale en Californie. Benicia, la Venise américaine, et Martinez, » cité agricole située en face, gardent comme deux sentinelles l’entrée étroite de la baie de Suisun. C’est dans cette dernière que débouchent, à quarante-cinq milles de San-Francisco, le San-Joaquin aux rives basses et marécageuses, semées d’ajoncs, et le Sacramento aux bords verdoyans et fertiles, qui rappellent ceux de la Saône. Stockton sur le San-Joaquin, Sacramento sur le fleuve dont elle a pris le nom, se trouvent chacune à cent trente milles environ de San-Francisco.

À Stockton s’arrête la navigation à vapeur et à voile sur le San-Joaquin ; mais on remonte le Sacramento jusqu’à Colusa et Red-Bluffs, tout à fait dans le nord, sur plus de cent soixante milles de longueur. On entre aussi dans la rivière Yuba jusqu’à Marysville, à près de cinquante-cinq milles de Sacramento. C’est, on le voit, un assez grand développement de navigation fluviale, si l’on part surtout de l’embouchure des fleuves Sacramento et San-Joaquin. Ce qui doit le plus étonner toutefois, c’est la hardiesse même de