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cette navigation, qui devient surprenante, pour ne pas dire plus, quand on a dépassé la ville de Sacramento. J’ai descendu en 1859 aux premiers jours d’octobre, c’est-à-dire à l’époque des plus basses eaux en Californie, le Feather-River et le Sacramento, en partant de Marysville. On mettait six ou sept heures pour faire les cinquante-cinq railles qui par eau séparent Marysville de Sacramento. Le vapeur était un bateau plat et léger. Il jaugeait tout juste assez d’eau pour ne pas toucher le fond de la rivière, dont, en certains parages, un pied à peine le séparait. En d’autres points, des bancs de sable mis à découvert forçaient le navire à se tenir soigneusement dans le chenal. L’eau était sale et boueuse, et le fond s’exhaussait tous les jours par la décharge de tous les canaux des placers. Une déviation de quelques mètres du fil de l’eau, ligne mathématique dans ce cas, aurait suffi pour faire échouer le navire ; mais les Américains ont, en fait de navigation, le coup d’œil le plus sûr et le sang-froid le plus étonnant qu’on puisse voir. Monté dans cette cahute élevée, qui domine l’avant du navire, le timonier, impassible à la barre, mesurait de l’œil le sillage à tracer : le vapeur approchait quelquefois du bord des rives jusqu’à les toucher ; mais aucun accident n’arriva.

On ne saurait passer sous silence, quand on s’occupe de la navigation en Californie, les merveilles que les clippers américains ont réalisées sur le Pacifique. Ces immenses navires, aux formes élégantes et sveltes, portant plusieurs milliers de tonneaux, font souvent en moins de cent jours la traversée de San-Francisco à New-York et à Boston. Comme on compte environ 20,000 milles marins de route par, le cap Horn, c’est pour cent jours une marche moyenne de 200 milles en vingt-quatre heures ; or l’on sait que le mille marin est égal à 1,862 mètres et que deux de ces milles font à peu près une lieue terrestre. Beaucoup de bons bateaux à vapeur ne vont pas plus vite que les clippers. Il est vrai que les vents alizés et les courans sous-marins interviennent ici d’une manière favorable, car les clippers suivent tous la marche qui leur a été indiquée par le commandant Maury, directeur de l’observatoire de Washington. On connaît les belles études de cet illustre marin sur les courans de l’atmosphère et de la mer. Auparavant il fallait six mois pour aller des États-Unis à San-Francisco par le cap Horn ; aujourd’hui, grâce au commandant Maury, la route peut être raccourcie de moitié, et l’on se demande pourquoi nos navires marchands, partis du Havre, de Nantes, de Bordeaux ou de Marseille, mettent encore cent quatre-vingts jours et plus pour atteindre San-Francisco, Des navigateurs des colonies espagnoles sur le Pacifique m’ont assuré que, dans leur course au cabotage, ils avaient vu souvent apparaître et disparaître en quelques heures à l’horizon plusieurs de ces clippers américains naviguant à toutes voiles. Il résulte des livres de loch que certains de ces bâtimens atteignent parfois la marche miraculeuse de seize ou dix-huit milles à l’heure, qu’aucun steamer n’a encore dépassée. Le développement de voilure est incroyable sur le clipper, et il n’est pas de