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femmes ne pourraient sans danger aborder ces véhicules. Quant au postillon californien, que ce soit en coche ou en wagon, il ne sent rien, il va toujours du même train. À chaque relai, il descend prestement ouvrir la portière aux voyageurs, leur criant le lieu de l’arrivée ou le changement de voiture. Il remue, charge et décharge les malles, attelle et dételle les chevaux, car il n’y a aucun conducteur avec lui : il s’arrête le moins possible et repart du même train. Ne lui donnez aucune bonne-main, aucun pourboire en argent, il se fâcherait : il est votre égal ; offrez-lui seulement un verre de brandy, il acceptera toujours et de bon cœur, et il boira à votre santé avec tout le respect et les formes qu’apportent les Américains dans cet acte important.

Mais on arrive à une station principale, on va descendre pour dîner. Pendant que les dames se dirigent vers un élégant salon de repos qui leur est réservé, tous les hommes se rendent, avant d’aller à table, à un cabinet de toilette où quelques lavabos en fer-blanc se prélassent sur un évier. Une glace modeste est pendue au mur. Un peigne, retenu par une ficelle, pour que tous s’en servent sans que personne ne l’emporte, lui tient compagnie. On assure que, dans certaines stations, une brosse à dents commune complète ce mobilier. Un peu plus loin tourne autour d’un rouleau une serviette sans fin où chacun vient s’essuyer le visage. Sur une chaise sont des brosses pour les habits et les souliers. Quand l’Américain a de son mieux réparé les désordres du voyage, il passe à la buvette. Il s’y met en complet appétit par un verre d’absinthe ou de sherry, en attendant que le son de la cloche appelle les convives à table. Là, comme dans le coche, aucune distinction n’existe, aucune place n’est réservée. Tous, pourvu qu’ils aient la peau blanche, touristes, ingénieurs, mineurs, charretiers, rouliers, marchands, fonctionnaires publics, fussent-ils du plus haut comme du plus infime grade, prennent une même place comme une même part à ce festin ; mais si l’égalité la plus complète y règne, le silence le plus profond, la décence la plus respectueuse s’y font aussi remarquer. Qui que vous soyez, placez-vous sans difficulté à table ; asseyez-vous sans regret auprès de ces hommes en apparence si grossiers : vous n’aurez pas à vous en repentir. Ils mettront peut-être les coudes sur la nappe, et mangeront tout sans serviette et dans le même plat, en moins de dix minutes ; mais vous n’entendrez aucune parole incongrue, aucune dispute inconvenante. Le dîner fini, ils passeront sans bruit à la buvette pour payer leur écot, ingurgiter quelque spiritueux et allumer leur cigare en silence, en attendant le nouveau départ du coche, promptement attelé.

Les routes qui sillonnent la Californie ont été ouvertes sans beaucoup de frais ; aucun cantonnier n’y est chargé d’un entretien régulier, et tous les travaux d’art qu’on y observe, ponts ou viaducs, tranchées ou murs de soutènement, ont été faits le plus simplement et le plus vite possible, suivant la coutume des ingénieurs américains. Quelques routes, construites par les