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manque pour le bétail, et le flanc des Montagnes-Rocheuses se transforme en un immense ossuaire[1]. Si les froids sont précoces, les tourmentes et les neiges peuvent aussi surprendre dans les montagnes les courageux marcheurs, et les ensevelir à jamais dans ces Alpes qui n’ont pas leur Saint-Bernard. La famine elle-même étend parfois ses ravages au milieu du convoi, qui court un autre péril, celui de succomber dans quelque rencontre aux fréquentes attaques des Indiens. Malgré tant de dangers, le nombre des immigrans qui arrivent chaque année en Californie à pied, par les plaines, a toujours été très considérable. En 1854, ce nombre était de plus de 60,000 ; en 1857, il était encore de 12,500. Aujourd’hui il ne dépasse pas 8 ou 10,000 ; mais on comprend que l’immigration californienne a dû diminuer chaque année, à mesure que les premiers accès de la fièvre de l’or se sont calmés pour faire place à une situation normale.

Les wagons, ces immenses voitures qu’emploient les immigrans, servent aussi en Californie à porter les marchandises sur toutes les routes carrossables. Véritables arches de Noé, on les rencontre sur les grands chemins en files souvent nombreuses, et traînés par six ou huit paires de mules. Ces énormes magasins roulans portent jusqu’à 6 et 8,000 kilogrammes de marchandises, et vont sur les principaux centres de population des mines déposer dans les stores une partie des richesses que le commerce du monde entier apporte à San-Francisco. Ce sont des vins, du riz, de la poudre, des vêtemens, des outils, en un mot tout ce qui intéresse la consommation du mineur.

On compte aujourd’hui en Californie au moins 5,000 kilomètres de routes de terre. Plus de trois cent cinquante bureaux de poste sont établis sur ce parcours ; mais le transport des dépêches est libre, pourvu que l’on paie préalablement à l’état le port de la lettre. Des services de postes particuliers, connus sous le nom d’express, se sont formés pour porter jusqu’à domicile les lettres, valeurs et paquets. La poste de l’état oblige au contraire les destinataires à venir les réclamer et les prendre chez elle. Deux de ces services d’express, dirigés par les puissantes maisons de banque Wells, — Fargo et Freeman, — font d’immenses affaires, et c’est en définitive une poste fonctionnant à côté de l’administration elle-même. Ces maisons ont des agens dans toute la Californie, l’Oregon, sur la côte du Mexique, dans l’Isthme de Panama, tous les États-Unis, et même à Londres et à Paris. Un employé spécial accompagne, à chaque départ de diligence et de steamer, les dépêches et les valeurs confiées à sa maison. Les frais que prélèvent les compagnies d’express sont assez élevés, à cause de la responsabilité qu’elles assument, et elles vendent pour la Californie, au prix de 10 sous, les enveloppes

  1. En 1851, sur 80,000 émigrans arrivant à pied en Californie, près de 50,000 restèrent sur le versant oriental des Montagnes-Rocheuses, tués par la famine et la fièvre typhoïde. L’absence de pâturages fut seule cause de cet épouvantable désastre.