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que les pauvres hirondelles, épouvantées, ne savaient où chercher un refuge. Presque toutes, ahuries et tremblantes, se pressant les unes contre les autres, s’interrogeant avec mille petits cris, elles s’étaient rassemblées sur la corniche d’une méchante église élevée au Largo Santa-Maria. Les plus hardies reprenaient parfois leur vol, attirées sans doute par quelque bupreste doré qui passait en bourdonnant ; mais bien vite, se trouvant mal à l’aise et comme dépaysées dans cet air ébranlé par les clameurs confuses, elles retournaient s’abriter près de leur nid pour y trouver un asile et peut-être pour le défendre.

Monteleone offrit à nos soldats une bonne fortune dont ils profitèrent amplement ; on y trouva une caserne précédemment occupée par les gendarmes royaux, et dans la caserne un magasin complet de bottes et de sabres : c’étaient des bottes à l’écuyère, bottes fortes, montant au-dessus du genou et dures comme du bois ; il y en avait quelques centaines de paires, provision de gala et de grande tenue. Une folie de bottes monta à la tête de tous nos hommes ; ils en demandaient en suppliant ; ils venaient à nous, les mains jointes : « Ah ! mon officier, faites-moi donner des bottes ! » On en distribua aux cavaliers ; les fantassins réclamèrent, et on leur en accorda quelques-unes. L’orgueil de ceux qui avaient pu chausser ces incommodes et lourdes machines ne peut se concevoir ; ils allaient par la ville

Plus fiers qu’un capitan sur la barque amirale,


faisant résonner leurs talons ferrés, s’embarrassant dans leurs éperons, qui souvent les jetaient le nez contre le pavé. Les plus sages quittèrent le lendemain même ces instrumens de supplice ; mais quelques-uns tinrent bon, et je me rappelle avoir rencontré six semaines après, au quartier de Santa-Maria, des soldats qui marchaient encore triomphalement dans ces pesans entonnoirs de cuir ; la gloire avait couronné leur effort, ils étaient célèbres dans leur brigade : on les appelait les bottés de Monteleone. On ne saurait croire l’attrait invincible que les chaussures, et spécialement les bottes, exercent sur les soldats ; disons le mot franchement, c’est une fascination. Paul de Flotte tombé remuait encore, que déjà on lui avait volé ses bottes ; sans un sous-officier qui eut envie de celles de Briganti, ce malheureux n’aurait peut-être pas été massacré.

Ce fut au bruit de notre musique sonnant ses plus belles marches que le soir nous quittâmes Monteleone. Déjà le crépuscule avait éteint les dernières lueurs du soleil couchant ; les fenêtres de la ville s’allumaient peu à peu, et la nuit planait sur nous lorsque nous dépassâmes les dernières maisons. Le long de la mer, qu’elle domine,