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communs, que leur imprime le milieu ; mais elles présentent toujours quelques différences appréciables tenant à leur nature première, et qui sont pour chacune d’elles une sorte de certificat d’origine. — Voilà ce qu’on constate chez les animaux, ce que nous avons vu se présenter chez les chiens libres d’Amérique, et ce dont rendent compte d’une manière très simple les principes exposés dans nos études précédentes. Bien loin d’être en contradiction avec les doctrines monogénistes, ces faits, et jusqu’aux hypothèses de même nature qu’on cherche à leur opposer, mettent encore plus en relief l’accord complet de ces doctrines avec les résultats de l’expérience et de l’observation.

Les actions modificatrices profondes, sérieuses, exercées par le milieu, deviennent aujourd’hui tellement impossibles à méconnaître, qu’un certain nombre de polygénistes renoncent à les nier ; mais alors ils ne veulent voir en elles que des signes de dégénérescence et de mort ; ils refusent au milieu tout autre pouvoir que celui de tuer. Knox surtout a nettement soutenu cette thèse. Plus franc ou plus logique que la plupart des polygénistes, cet auteur, ici comme toujours, a nettement accepté les conséquences de ses doctrines générales. Pour lui comme pour toute l’école américaine, chaque espèce d’hommes est un produit local. Il en conclut qu’elle ne peut vivre en dehors de la terre et du climat qui l’ont vue naître. Toutefois il ne peut nier ni les changemens subis par le Yankee, si peu semblable aujourd’hui à ses ancêtres anglo-saxons, ni les modifications presque aussi marquées de la race celtique depuis sa transplantation au Canada[1] ; mais, loin de reconnaître dans les caractères qui apparaissent chez ces petits-fils de l’Europe les signes de la formation de races nouvelles, il n’y voit que des preuves de décadence physique et morale, des indices d’une destruction prochaine.

En réponse à ces étranges appréciations, bornons-nous à citer quelques faits et quelques chiffres. Ce sont ces hommes dégénérés, petits de corps et d’idées, qui fournissent au Canada ces coureurs des bois, ces voyageurs, qui, tour à tour marins sur les fleuves et les lacs, chasseurs et bûcherons dans les forêts et les déserts, sans cesse en lutte avec la nature ou les hommes, servent presque uniquement d’intermédiaires entre les indigènes et les comptoirs anglais ; ce sont eux qui entretiennent à Québec, à Montréal, le goût de la littérature et des arts, et luttent au nom de l’intelligence élevée contre les tendances

  1. « Un long séjour en Amérique a fait perdre au créole canadien les vives couleurs de sa carnation. Son teint a pris une nuance d’un gris foncé ; ses cheveux noirs tombent à plat sur ses tempes comme ceux de l’Indien. Nous ne reconnaissons plus en lui le type européen, encore moins le type gaulois. » — Th. Pavie, Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1850.