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Dombes nourrit une population peu nombreuse, affaiblie par les maladies, dont la taille et la vie moyennes sont sensiblement au-dessous de celles des populations voisines[1] ; mais, lentement façonnée à des conditions d’existence exceptionnelle, cette population les supporte néanmoins, et résiste à leur action délétère mieux que les vigoureux montagnards du Jura et du Bugey. « Souvent, nous écrit M. Hervé-Mangon, des hommes, des femmes, attirés par l’appât d’un mariage avantageux, se fixent dans la Dombes, espérant hériter de leur conjoint et retourner dans leur patrie ; mais bien souvent aussi la mort déjoue ces tristes calculs, et l’enfant du pays, débile en apparence, enterre le robuste étranger. Les journaliers appelés du dehors sur cette terre insalubre n’y vivent guère que trois ou quatre ans, et les ouvriers de passage employés aux moissons paraissent éviter de s’exposer deux étés de suite à des influences dont ils ont compris la redoutable action. » Sur une échelle un peu moindre, tout se passe donc dans la Dombes comme au Sénégal ou au Gabon. Doit-on en conclure que le Dombois est d’une autre espèce que les montagnards ses voisins ? Knox n’hésiterait pas à répondre par l’affirmative, et c’est ici le moment de faire ressortir une des conséquences les plus étranges auxquelles les croyances polygénistes ont conduit leurs adhérens.

Lorsque Virey, qui le premier a donné au polygénisme une forme scientifique, publia sa classification, il ne reconnut que deux espèces d’hommes[2] ; mais il avait posé le principe, et les conséquences ne pouvaient manquer de se manifester tôt ou tard. Dès que l’on voit dans les groupes humains autre chose que des races et qu’on cherche à les classer par espèces, on est fatalement entraîné à multiplier celles-ci. Toutefois Bory Saint-Vincent n’admit encore que quinze espèces[3] humaines, et Desmoulins n’en ajouta qu’une seule de plus[4] ; mais l’élan était donné, on ne pouvait plus s’arrêter. Gerdy admit un genre humain partagé en quatre sous-genres, dont chacun comprendrait un nombre de variétés dont il ne cite que les principales. Pour lui d’ailleurs, ces variétés résulteraient du mélange d’un nombre non moins indéterminé d’espèces qui n’existent plus à

  1. Rapport à M. le ministre de l’agriculture et du commerce sur l’amélioration sanitaire et agricole de la Dombes, par M. Hervé-Mangon. Ce triste état de choses ne tient d’ailleurs qu’au mode d’exploitation du sol. M. de Lavergne admet que la Dombes était plus peuplée avant le développement de l’industrie des étangs, et que par suite des améliorations déjà réalisées la vie moyenne se rapproche de plus en plus de ce qu’elle est dans le reste de la France. Note inédite de M. de Lavergne.
  2. Histoire naturelle du genre humain 1801. Virey distingue ces deux espèces par la différence que présente leur angle facial. Chacune d’elles comprend trois races.
  3. Dictionnaire classique d’Histoire naturelle 1825, article Homme.
  4. Histoire naturelle des Races humaines 1826.