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tirées exclusivement de la forme. Or c’est au fond la manière de procéder de tous les polygénistes. Des différences de forme, voilà en définitive ce qu’ils emploient constamment, soit comme preuves directes de leurs opinions, soit comme objections à la doctrine contraire. Sur ce terrain, les silhouettes de Knox et son exclamation : « Voyez comme ils se ressemblent ! » sont en effet une démonstration ; mais qui ne connaît quelque famille où l’on démontrerait par les mêmes argumens que deux frères, deux sœurs sont d’espèce différente ? Et comment, après tout ce que nous avons vu, admettre le principe qui entraîne fatalement de semblables conséquences ?

Nous avons exposé du mieux qu’il a été possible, et sans jamais chercher à en atténuer la portée, les argumens opposés au monogénisme qui présentent le plus d’apparence de fondement. Nous croyons les avoir réfutés, et c’est au lecteur à juger de la valeur de nos réponses. Il nous faut aborder maintenant l’examen d’une doctrine spéciale qui s’est produite assez récemment en Amérique, qui tient en quelque sorte le milieu entre le monogénisme et le polygénisme, quelque difficile que la chose puisse paraître, et qui, professée par un naturaliste éminent, par Agassiz, compte aujourd’hui, surtout en Allemagne, d’assez nombreux adhérens. Cette doctrine consiste à regarder les hommes comme appartenant à une seule et même espèce, mais à admettre que cette espèce a pris naissance à la fois ou successivement sur plusieurs points du globe, et que les diverses races ont apparu toutes formées avec les caractères qui les distinguent encore aujourd’hui. Cette doctrine, on le voit, est en réalité celle de La Peyrère[1]. Pour avoir ajouté aux argumens bibliques sur lesquels s’appuyait presque exclusivement le gentilhomme théologien tous ceux qu’elle croit pouvoir emprunter à la science moderne, elle n’a pas changé de nature. Certes ce n’est pas un des résultats les moins curieux des débats anthropologiques qu’après plus de trois cents ans de travaux accomplis dans les sciences naturelles[2], ils aient conduit des hommes d’un incontestable mérite, amoureux de la philosophie et du progrès, à en revenir aux opinions d’un théologien du XVIIe siècle ; mais on peut avoir eu raison à toutes les époques, et une opinion quelconque, reprise et soutenue au nom de la science par un naturaliste comme Agassiz, mérite en tout cas un examen sérieux.

Au point de vue exclusivement scientifique où nous sommes placés, la doctrine de La Peyrère peut au premier abord paraître séduisante.

  1. La Peyrère ne pouvait, il est vrai, employer les mots race et espèce. La distinction n’a été faite par les naturalistes que longtemps après lui ; mais quiconque aura lu son livre reconnaîtra aisément que telle était bien sa pensée.
  2. L’ouvrage de La Peyrère est de 1655.