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ainsi dire le milieu. Est-il surprenant que ces populations se ressemblent[1] ? Mais résulte-t-il de là qu’elles se rattachent intimement aux animaux qui les entourent ? Non.

Parmi les espèces mammalogiques qu’Agassiz a choisies comme étant le plus propres à représenter la faune polaire, deux seulement, l’ours blanc et le morse, appartiennent vraiment, comme type et comme espèce, à ces contrées glaciales. Comme espèce, le phoque du Groenland leur appartient également ; mais le genre dont il fait partie est répandu dans toutes les mers d’Europe, et le type se retrouve dans l’univers entier. Le renne et la baleine franche sont bien plus malheureusement choisis encore. Celle-ci fait partie d’un genre qui a des représentans directs à peu près dans toutes les mers, et au moyen âge elle fréquentait les côtes de France. Si on ne la trouve aujourd’hui que dans la zone polaire, c’est qu’elle a été chassée de partout ailleurs. Il en est de même du renne, qui au temps de César habitait les forêts de la Germanie, et qui encore aujourd’hui, là où il n’a pas été détruit, descend à plus de 20 degrés au sud des limites que suppose la théorie que nous combattons[2]. Quant à l’eider, signalé comme représentant les oiseaux du pôle, il niche tous les ans en Danemark, à 12 ou 15 degrés au sud du cercle polaire. Ainsi, sur les six espèces animales figurées dans le tableau d’Agassiz, et qui sont censées représenter le plus fidèlement la faune du royaume arctique, trois au moins peuvent être regardées comme appartenant presque également à la région que l’auteur appelle le royaume européen. Cependant Agassiz a certainement choisi les exemples les plus propres à étayer sa doctrine, et nul mieux que lui ne pouvait apporter dans ce choix la science nécessaire. Si un naturaliste aussi éminent n’a pas mieux réussi, c’est que la chose était impossible. En effet, malgré un petit nombre de traits spéciaux, tels qu’on en trouve partout, dans quelque sens qu’on se dirige, la faune des régions polaires n’est évidemment qu’une extension des faunes propres aux grands centres qui, en Europe, en Asie, en Amérique, sont contigus à ces régions[3]. En dépit de quelques apparences presque toutes

  1. On verra plus loin que cette ressemblance est d’ailleurs fort loin d’être absolue, et qu’on trouve à côté des Esquimaux des hommes qui en diffèrent presque à tous égards.
  2. Le renne descend, en suivant la ligne des monts Ourals, jusque sur les bords de la Kouma, bien au sud d’Astracan et presque au pied du Caucase. Il ne se passe pas d’hiver que les habitans n’en tuent quelques-uns. Dictionnaire universel d’Histoire naturelle.
  3. L’étude des insectes conduit exactement aux mêmes résultats que celle des mammifères. Voici comment M. Lacordaire résume les faits de géographie entomologique qu’il vient d’exposer : « La région polaire est ainsi caractérisée moins par la spécialité de ses produits entomologiques que par leur petit, nombre. » Introduction à l’Entomologie. Et cependant M. Lacordaire, en prenant pour limite de cette région le cercle polaire lui-même, en la restreignant par conséquent beaucoup plus qu’Agassiz, en rendait la caractérisation zoologique plus facile.