Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/667

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a surtout à combattre. En réalité, il n’est arrêté que par son semblable. Sans les Touhareks, les caravanes sillonneraient fort bien le désert entre l’Algérie et le Sénégal, et le martyrologe des voyageurs compte autant de victimes tombées directement sous les coups de l’homme que d’individus tués par un climat où les retenaient souvent des obstacles soulevés encore par l’homme. Avant la présence de celui-ci en certaines latitudes, qui donc eût arrêté les hordes, les familles s’avançant par stations plus ou moins prolongées, s’établissant à leur gré sur des terres que personne ne leur disputait, laissant les générations successives se faire à des conditions d’existence nouvelles, mais qui ne différaient jamais beaucoup des précédentes, et recommençant à leur heure une conquête qui n’entraînait de guerre qu’avec le sol et les bêtes féroces[1] ? Quant à nous, loin de trouver difficile la dispersion de l’espèce humaine, nous regardons comme impossible qu’elle n’eût pas lieu dans les conditions dont il s’agit, et la manière dont ont grandi dans les temps modernes toutes les colonies nous est un sûr garant que les choses ont dû se passer ainsi.

On insiste, on nous oppose les mers, l’Océan ; on nie surtout la possibilité du peuplement par migrations de la Polynésie et de l’Amérique. Cette objection a pu avoir autrefois une certaine apparence de fondement ; en présence des renseignemens recueillis de nos jours, en présence des faits dont on retrouve la trace, ou qui se passent encore, il est étrange qu’on puisse lui attribuer aujourd’hui la moindre valeur. Cependant, comme elle a été reproduite avec insistance à diverses reprises et parfois par des hommes d’un mérite incontestable, comme elle est de nature à frapper les personnes étrangères à cet ordre de recherches, nous y répondrons avec quelque détail.

Nous insisterons peu sur la Polynésie. Il suffit de parcouru, les récits des voyageurs, des plus anciens aux plus récens, pour être convaincu que cette vaste étendue de mers, partout semée d’îles et d’archipels, est habitée par la même race. Toutes ces populations ont des caractères physiques à très peu près les mêmes, toutes ne parlent que des dialectes d’une seule langue. On sait avec quelle hardiesse elles se lancent sur l’Océan dans des embarcations dont plusieurs sont parfaitement propres à exécuter des voyages lointains. On sait que, grâce à ces moyens de transport, des guerres sanglantes ont souvent lieu, non pas seulement d’île à île, mais d’archipel à archipel, et que ces mers, comme les continens, ont vu

  1. C’est dans cette marche lente et progressive qu’on trouve l’explication de la présence de l’homme partout, de son adaptation à tous les climats. L’acclimatation, telle que nous l’entendons et la pratiquons de nos jours, est presque universellement. le contraire de ce qu’elle a dû être à l’origine, de ce qu’elle doit Être pour ne pas devenir trop meurtrière et parfois peut-être impossible.