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publiques, les emplois industriels, au lieu d’être taxées dans la mesure des revenus qu’elles donnent, ne sont atteintes chez nous que par rapport aux loyers d’habitation, de telle sorte que le chef d’une famille nombreuse, d’autant plus pauvre qu’il est obligé d’avoir un vaste local, doit payer plus que le riche célibataire qui peut vivre à l’étroit. Je signale ces différences, non pour faire ici la critique de la fiscalité française, ce qui me conduirait fort loin, mais pour montrer combien est fausse l’assimilation qu’on a prétendu faire de l’income-tax avec nos impôts directs, et ce sera une légitime occasion de constater, à l’éternel honneur de l’Angleterre, que la réforme de ses institutions économiques a été libérale dans le sens le plus intelligent et le plus généreux du mot.

Un phénomène social des plus remarquables me paraît être l’influence qu’a exercée depuis trente ans la réforme économique sur cet ensemble de lois, d’idées, de sentimens, d’habitudes, qu’on appelle vaguement les mœurs d’un pays. À chaque parcelle de liberté tombant dans le domaine commun, on sentait davantage le côté faible des institutions basées, en Angleterre comme partout, sur des monopoles plus ou moins déguisés : on prenait à cœur de mettre autant que possible la législation en harmonie avec le principe nouveau. C’est dans cet esprit qu’on a opéré la conversion de certaines redevances d’origine féodale, la suppression des privilèges commerciaux de la compagnie des Indes, l’abolition de l’esclavage dans les colonies d’Amérique, et surtout la refonte des anciens règlemens sur le paupérisme. À partir de 1834, le chef d’industrie a cessé d’être intéressé à l’extension de la misère, parce qu’il ne lui a plus été possible de faire payer par le bureau des pauvres une partie du salaire de ses ouvriers.

Dès les premiers essais de la grande industrie, on avait pressenti qu’il y aurait chez les entrepreneurs une tendance à exagérer la durée du travail, non pas précisément pour obtenir une réduction indirecte sur le gain légitime de l’ouvrier, mais pour amoindrir la perte résultant du matériel employé. En effet, si un outillage d’un million donne 100,000 francs de bénéfice net avec des journées de douze heures, il est clair qu’on pourrait gagner le double avec un travail incessant. Quatre bills sur cette matière, édictés depuis le commencement du siècle, restèrent à l’état de lettre morte jusqu’au jour où les novateurs commencèrent à former dans les conseils du gouvernement un groupe de quelque consistance. À la suite d’une laborieuse enquête commencée en 1832, l’opinion publique réclama une réglementation efficace dans le régime des manufactures. Par respect pour le principe de la liberté, le parlement s’abstint d’intervenir d’une manière directe au profit des ou-