Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/758

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impatiens et les imprudens. Nous ne sommes point étonnés de la vive confiance avec laquelle M. de Cavour s’est expliqué devant le parlement de Turin. La faiblesse de sa situation a quelquefois imposé à M. de Cavour des contradictions fâcheuses. Nous sommes certains que M. de Cavour a dû souffrir de ces ambiguïtés de conduite plus que ses adversaires ne l’imaginent. Parmi les hommes d’état contemporains, nous n’en connaissons pas au tempérament de qui la franchise aille autant qu’à M. de Cavour, et qui aient tiré un aussi grand parti de déclarations hardies jusqu’à la témérité. Affermi par sa foi dans la cause italienne et par sa confiance dans le succès, M. de Cavour prend volontiers l’opinion publique pour confidente de sa pensée. Cette sincérité courageuse est un des plus sûrs ressorts de l’empire qu’il a pris sur elle. Rien n’est efficace pour l’action comme ces déclarations saisissantes, imprévues, qui surprennent les esprits, les font travailler et gagnent leur complicité aux grands desseins auxquels on les associe. M. de Cavour vient d’exécuter un de ses plus étonnans et de ses plus osés coups de théâtre : il a déclaré que Rome est la capitale nécessaire de l’unité de l’Italie, et en même temps il s’est en quelque sorte moralement emparé de Rome en promettant à l’église, pour prix du pouvoir temporel, la liberté religieuse absolue. Que de simples écrivains comme nous aient soutenu, en se plaçant au cœur de l’intérêt religieux, que le pouvoir temporel était loin d’être nécessaire au pouvoir spirituel du pontife et aux intérêts religieux du catholicisme : cette opinion, bien qu’elle ait été défendue avec éclat après 1830 par une illustre école, pouvait être accueillie comme une illusion théorique et comme une thèse paradoxale. Nous-mêmes, en demandant la cessation du pouvoir temporel et en y voyant l’affranchissement véritable du gouvernement spirituel de l’église, nous ne considérions point cet affranchissement comme immédiat, nous pensions qu’il serait le prix des efforts qu’aurait à faire la vitalité religieuse au sein du catholicisme pour acquérir sa propre liberté par le progrès de la liberté générale. Nous pensions que les catholiques, n’étant plus liés par ces traités avec l’état, par ces concordats que les convenances ou les nécessités du pouvoir temporel imposaient aux papes, ne pouvant plus dès lors invoquer auprès de l’état leur liberté religieuse qu’au même titre que leur liberté civile et politique, seraient tenus par les obligations de leur foi, comme ils le sont dans les pays où un culte différent est la religion de l’état, de faire prévaloir auprès des gouvernemens les garanties de la liberté politique. Le succès dans cette voie aurait dépendu de l’énergie du sentiment religieux au cœur des catholiques, et devait être à nos yeux l’œuvre du temps. Or c’est cette liberté dont la conquête eût été laborieuse, soumise aux chances et aux lenteurs des luttes politiques, que M. de Cavour offre tout de suite et complètement au pape et à l’église catholique en échange du principat temporel de Rome.

La concession est si énorme qu’elle est peu comprise encore hors d’It-