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instructifs, et qui cependant ne sont pas des expériences ; il y a donc des propositions qui concernent l’essence, et qui cependant ne sont pas verbales ; il y a donc une opération différente de l’expérience, qui agit par retranchement au lieu d’agir par addition, qui, au lieu d’acquérir, s’applique aux données acquises, et qui par-delà l’observation, ouvrant aux sciences une carrière nouvelle, définit leur nature, détermine leur marche, complète leurs ressources et marque leur but.

Voilà la grande omission du système : l’abstraction y est laissée sur l’arrière-plan, à peine mentionnée, recouverte par les autres opérations de l’esprit, traitée comme un appendice des expériences ; nous n’avons qu’à la rétablir dans la théorie générale pour reformer les théories particulières où elle a manqué.

D’abord la définition. Il n’y a pas, dit Mill, de définition de choses, et quand on me définit la sphère le solide engendré par la révolution d’un demi-cercle autour de son diamètre, on ne me définit qu’un nom. Sans doute on vous apprend par là le sens d’un nom, mais on vous apprend encore bien autre chose. On vous annonce que toutes les propriétés de toute sphère dérivent de cette formule génératrice. On réduit une donnée infiniment complexe à deux élémens. On transforme la donnée sensible en données abstraites ; on exprime l’essence de la sphère, c’est-à-dire la cause intérieure et primordiale de toutes ses propriétés. Voilà la nature de toute vraie définition ; elle ne se contente pas d’expliquer un nom, elle n’est pas un simple signalement ; elle n’indique pas simplement une propriété distinctive, elle ne se borne pas à coller sur l’objet une étiquette propre à le faire reconnaître entre tous. Il y a en dehors de la définition plusieurs façons de faire reconnaître l’objet ; il y a telle autre propriété qui n’appartient qu’à lui ; on pourrait désigner la sphère en disant que, de tous les corps, elle est celui qui, à surface égale, occupe le plus d’espace, et autrement encore. Seulement ces désignations ne sont pas des définitions ; elles exposent une propriété, caractéristique et dérivée, non une propriété génératrice et première ; elles ne ramènent pas la chose à ses facteurs, elles ne la recréent pas sous nos yeux, elles ne montrent pas sa nature intime et ses élémens irréductibles. La définition est la proposition qui marque dans un objet la qualité d’où dérivent les autres, et qui ne dérive point d’une autre qualité. Ce n’est point là une proposition verbale, car elle vous enseigne la qualité d’une chose ; ce n’est point là l’affirmation d’une qualité ordinaire, car elle vous révèle la qualité qui est la source du reste : c’est une assertion d’une espèce extraordinaire, la plus féconde et la plus précieuse de toutes, qui résume toute une science, et en qui toute science aspire à se résumer.