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selon les règles connues de l’art ; mais nous ne sommes pas la dupe des subterfuges de la vanité impuissante. Le landgrave se lève de son siège souverain et déclare dans un récit pompeux, déclamatoire et peu musical, que celui qui aura le mieux compris le mystère de l’amour recevra sa récompense de la main d’Élisabeth. Alors commence une interminable psalmodie sur des vers burlesques où il est impossible de saisir la trace d’une idée ou d’un sentiment caractérisé. Ce triple galimatias mystique que débitent tour à tour les trois chanteurs Wolfram, Bitterolf et Tannhäuser, appuyés par le chœur qui intervient dans le débat par de courtes interjections, comme le chœur de la tragédie antique sans doute ; cette scène, qui a été fort raccourcie, et où l’on ne peut louer que de rares accens dans l’hymne de Wolfram en l’honneur de l’amour idéal, précède une prière qu’Élisabeth adresse aux rivaux de Tannhäuser, déclamation sèche qui va aboutir à un assez bel ensemble choral :


Un ange nous vient apparaître
Pour proclamer l’arrêt des cieux.


Mais à ce court moment de répit, où le compositeur, fidèle aux lois de son art, réfute de nouveau les erreurs du théoricien, succède un effroyable déchaînement de sons discordans qui constitue le finale du second acte, et dans lequel le critique novateur reprend sa revanche sur l’artiste et le musicien. C’est ainsi que dans cette œuvre étrange on voit tour à tour l’instinct de l’homme de talent avoir raison du sophiste, et le réformateur malheureux triompher du poète et du musicien.

Le troisième acte transporte de nouveau la scène dans la vallée de la Wartbourg. Il fait nuit, et Wolfram, qui vient errer là on ne sait trop pour quel motif, y rencontre Élisabeth agenouillée devant une image de la Vierge. Il plaint le sort de cette noble fille, qui attend avec anxiété l’arrivée des pèlerins qui viennent de Rome, et parmi lesquels elle espère voir son cher Tannhäuser. En effet, une troupe de pèlerins traverse alors le théâtre en chantant une prière en chœur :


Salut à vous, ô beau ciel ! ô patrie !


et dont le motif se développe et s’épanouit en un crescendo d’un très bel effet. Admirablement accompagné par une phrase tirée de l’ouverture, ce chœur a été vivement applaudi comme il méritait de l’être, ce qui prouve que le public n’avait aucune prévention contre le talent et la personne de M. Wagner. La prière d’Élisabeth qui suit le chœur des pèlerins :


Ô Vierge sainte ! que ta grâce
Enfin m’élève jusqu’à toi !


forme encore un chant vague et inarticulé, une sorte de prose liturgique qui semble n’appartenir à aucune tonalité précise, mais dont la couleur générale et le caractère semi-religieux ne me déplaisent pas. J’en dirai autant de la partie symphonique qui accompagne la sortie d’Élisabeth, et qui dure