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subjectif avec l’objectif de M. Wagner, élève-toi à cette haute synthèse de la philosophie de l’absolu dont il a été si bien parlé récemment dans la Revue, et quand tu seras parvenu au sommet de cet idéal du néant, in cima del campanile, tu n’y verras plus goutte, et tu comprendras alors que le blanc et le noir, la nuit et le jour, le chaud et le froid, le vrai et le faux, le juste et l’injuste, le beau et le laid, Guillaume Tell et le Tannhäuser, ce n’est qu’une seule et même chose ; tu seras considéré comme un grand esprit alors, et tu passeras pour le phénix des critiques de l’avenir !

Malgré tous les avantages qu’il y aurait pour notre amour-propre à poursuivre ce rêve d’ambition, nous sommes forcé de convenir que le Tannhäuser a été fort bien jugé par le public de Paris, et que la chute de ce mauvais ouvrage nous paraît être irrévocable. Nous croyons avoir le droit de nous réjouir d’un événement que nous avons prévu et ardemment désiré. Il y a dix ans que nous combattons ici les doctrines funestes propagées par M. Wagner et ses partisans, qui sont pour la plupart des écrivains médiocres, des peintres, des sculpteurs sans talent, des quasi-poètes, des avocats, des démocrates, des républicains suspects, des esprits faux, des femmes sans goût, rêvasseuses de néant qui jugent les beautés d’un art de sentiment, qui doit plaire à l’oreille avant de toucher le cœur, à travers un symbolisme creux et inintelligible. Il y a dans la partition du Tannhäuser trois morceaux de musique écrits dans les conditions ordinaires de l’art, qui ont été compris immédiatement par le public et applaudis plus qu’ils ne méritent de l’être : c’est l’ouverture, cadre symphonique mal dessiné, où l’on ne peut saisir qu’une immense spirale des violons que l’auteur ramène incessamment dans le cours de sa légende ; c’est la marche du second acte et le chœur des pèlerins au troisième. Nous serons plus généreux que ne l’a été le public en tenant compte à M. Wagner de l’ensemble choral que nous avons déjà signalé au second acte : Un ange nous vient apparaître, — de la couleur religieuse de la prière d’Elisabeth, — du mouvement symphonique qui accompagne sa sortie et de l’hymne du soir que chante Wolfram par l’organe exercé de M. Morelli. Ces fragmens de vague mélopée et de récit symphonique, auxquels on ne saurait donner une qualification plus précise, ne sont pas à dédaigner, puisqu’ils éveillent dans le cœur un frémissement généreux et communiquent à l’imagination un ébranlement poétique. Quand M. Wagner a des idées, ce qui est rare, il est loin d’être original ; quand il n’en a pas, il est unique et impossible.

L’exécution du Tannhäuser a été ce qu’elle pouvait être. M. Niemann, attaché au théâtre royal de Hanovre, que M. Wagner avait désigné lui-même comme l’artiste le plus capable d’interpréter le rôle du chevalier chanteur, est un blond, grand et jeune Germain qui possède une forte voix de ténor élevé qui n’a pas été soumise à une bonne discipline vocale. M. Niemann, qui ne manque pas de sentiment dramatique, car il est à bonne école, ayant épousé Mlle Seebach, la première tragédienne de l’Allemagne, M. Niemann n’a pas succombé à sa tâche difficile, et il a su garder son aplomb en face d’un public qui ne ménageait pas les manifestations de son mécontentement. Toutefois que M. Niemann profite de la leçon pour apprendre à mieux diriger un organe vigoureux qui n’est pas sans défauts. Mme Tedesco dans