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encore moins. Sur quoi donc leurs pinceaux allaient-ils s’exercer ? Ni religion ni poésie ! Un culte sans images, un peuple sans imagination, et tout cela sous un ciel sombre et brumeux, sans transparence ni couleur ! Assurément la Providence avait un parti bien pris de faire fleurir la peinture en Hollande, puisque de tant d’obstacles, accumulés comme à plaisir, nous allons voir sortir autant d’effets nouveaux, de beautés inconnues, autant de causes d’agrément, de perfection et d’originalité.

Et d’abord remarquez qu’à partir de 1606, l’année où Rembrandt vint au monde, tout un essaim d’artistes de premier ordre éclôt dans les Sept-Provinces presque au même moment. En moins d’un quart de siècle, avant 1630, coup sur coup vous avez vu naître Albert Cuyp, Terburg, Jean Both, les deux Ostade, van der Neer, Metsu, van der Helst, Nicolas Maas, Philips Wouverman, Berghem, Paul Potter, Hobbema, Ruysdael et bien d’autres encore que j’oublie. Ce n’est jamais en pure perte que se produit ainsi tout un groupe de grands talens. Ces sortes d’éclosions subites sont, dans l’histoire de la peinture, le symptôme assuré ou d’un progrès notable ou tout au moins d’un mouvement nouveau, d’une tentative inconnue. De Giotto jusqu’à Raphaël, on en peut compter cinq ou six, et, sans rien comparer d’ailleurs, il est permis de dire que ni dans l’Ombrie vers, le milieu du XVe siècle, ni à Florence, ni à Venise, ni à Augsbourg, ni à Nuremberg aux approches du XVIe il n’était né en aussi peu d’années autant d’hommes doués de l’esprit pittoresque et si bien faits pour agir en commun sur les destinées de leur art que cette compacte phalange qui sort de Dordrecht, d’Amsterdam, de Leyde et de Harlem dès le début du XVIIe siècle.

Une fois en âge de produire, qu’allaient faire tous ces jeunes gens ? Une œuvre absolument nouvelle, on ne peut trop le répéter. Ils allaient tous faire des portraits : non pas des portraits d’hommes ou de femmes seulement, il y avait longtemps qu’on en faisait partout, mais des portraits de leur patrie. Cette terre de Hollande, ce sol natal, ce sol chéri, si récemment, si rudement conquis sur les flots et sur l’Espagnol, chacun d’eux, selon son aptitude, allait amoureusement en étudier, en imiter, en reproduire une partie : celui-ci les vertes prairies, les vastes pâturages émaillés de bestiaux et de fleurs ; celui-là les forêts, les moissons, les sablonneux rivages de la mer ; cet autre, la mer elle-même, tantôt furieuse, écumante, tantôt paisible et douce, limpide et comme endormie, sillonnée de gracieux navires et se perdant au loin dans les pâles vapeurs d’un interminable horizon. Était-ce donc la première fois que la peinture prenait de tels modèles ? N’avait-elle jamais essayé de retracer les scènes de la nature, non plus comme accessoires, mais comme