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et le nombre fini ou indéfini de ses applications. Les applications contiennent la loi et la preuve, mais elles ne sont ni la loi ni la preuve. Les exemples de Pierre, Jean et des autres contiennent la cause, mais ils ne sont pas la cause. Ce n’est pas assez d’additionner les cas, il faut en retirer la loi. Ce n’est pas assez d’expérimenter, il faut abstraire. Voilà la grande opération scientifique. Le syllogisme ne va pas du particulier au particulier, comme dit Mill, ni du général au particulier, comme disent les logiciens ordinaires, mais de l’abstrait au concret, c’est-à-dire de la cause à l’effet. C’est à ce titre qu’il fait partie de la science ; il en fait et il en marque tous les chaînons ; il relie les principes aux effets ; il fait communiquer les définitions avec les phénomènes. Il porte sur toute l’échelle de la science l’abstraction que la définition a portée au sommet.

La même opération explique aussi les axiomes. Selon Mill, si nous savons que des grandeurs égales ajoutées à des grandeurs égales font des sommes égales, ou que deux droites ne peuvent enclore un espace, c’est par une expérience extérieure faite avec nos yeux, ou par une expérience intérieure faite avec notre imagination. Sans doute on peut savoir ainsi que deux droites ne sauraient enclore un espace, mais on peut le savoir encore d’une autre façon. On peut se représenter une droite par l’imagination, et on peut la concevoir aussi par la raison. On peut considérer son image ou sa définition. On peut l’étudier en elle-même ou dans les élémens générateurs. Je puis me représenter une droite toute faite, mais je puis aussi la résoudre en ses facteurs. Je puis assister à sa formation, et dégager les élémens abstraits qui l’engendrent, comme j’ai assisté à la formation du cylindre et dégagé le rectangle en révolution qui l’a engendré. Je puis dire non pas que la ligne droite est la plus courte d’un point à un autre, ce qui est une propriété dérivée, mais qu’elle est la ligne formée par le mouvement d’un point qui tend à se rapprocher d’un autre, et de cet autre seulement ; ce qui revient à dire que deux points suffisent à déterminer une droite, en d’autres termes que deux droites ayant deux points communs coïncident dans toute leur étendue intermédiaire, d’où l’on voit que si deux droites enfermaient un espace, elles ne feraient qu’une droite et n’encloraient rien du tout. Voilà une seconde manière de connaître l’axiome, et il est clair qu’elle diffère beaucoup de la première. Dans la première, on le constate ; dans la seconde, on le déduit. Dans la première, on éprouve qu’il est vrai ; dans la seconde, on prouve qu’il est vrai. Dans la première, on l’admet ; dans la seconde, on l’explique. Dans la première, on remarquait seulement que le contraire de l’axiome est inconcevable ; dans la seconde, on découvre en plus que le contraire de l’axiome est contradictoire. Étant donné la définition de la ligne