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son temps. Or je suppose qu’après avoir reçu le prix de sa Ronde de nuit, si bien payée qu’elle pût être, il dut se dire que dans les heures passées à couvrir cette toile il aurait peint trois ou quatre portraits, deux ou trois intérieurs, autant de paysages, et qu’ainsi, tout bien compté, il avait fait un très mauvais marché. Faut-il donc s’étonner qu’il en soit resté là ? Peut-être aussi les vrais coupables sont-ils ces magistrats, ces syndics, qui n’auront pas stimulé par assez de largesses le dévouement des peintres. Quelle qu’en soit après tout la véritable cause, une chose certaine, c’est la rareté de ce genre de chefs-d’œuvre dont on serait aujourd’hui si jaloux. S’en est-il égaré quelques-uns ? En existerait-il en d’autres lieux que la Hollande ? Rien n’autorise à le penser. Propriété d’associations publiques, ces sortes de tableaux ont eu depuis leur origine ce qu’on peut appeler une histoire : la disparition en eût été signalée. Il est donc très probable que la Hollande possède encore tout ce que ses peintres ont tenté en ce genre : d’où je conclus, comme au début de cette étude, qu’il faut ou renoncer à connaître sous tous ses aspects et à tous ses étages la peinture hollandaise, ou que c’est en Hollande qu’il la faut étudier.

En peut-on dire autant dès qu’il n’est plus question que des petits tableaux, c’est-à-dire, à proprement parler, de l’école hollandaise tout entière ? Franchement non. Cette aptitude à voyager, ces dimensions portatives et commerciales, le charme cosmopolite que donnent à ces peintures les séductions de la couleur et la finesse du pinceau, tout semblait les prédestiner à sortir peu à peu de Hollande. Dès l’origine de l’école et du vivant de ses fondateurs, cette exportation commençait. Il y a plus d’un musée, même plus d’un cabinet en Europe, dont les tableaux hollandais furent acquis en partie au XVIIe siècle, au moment même où ils venaient d’être faits ; mais ce courant extérieur n’était pas encore si rapide qu’à l’intérieur on dût s’en ressentir. La Hollande, à vrai dire, regorgeait alors de tableaux, tant la production en était incessante et comme surexcitée par le goût national. Rien ne peut donner juste idée de cet amour de la peinture chez un peuple si froid, si grave, et en apparence si peu fait pour les arts. On aurait compté les familles, même parmi les plus modestes, qui n’avaient pas alors quelques tableaux, et quiconque faisait fortune mettait son premier luxe et sa suprême ambition à se faire un cabinet. C’était en ce temps-là qu’il fallait voyager en Hollande ! mais aujourd’hui tout est changé : depuis un quart de siècle, les prix extraordinaires que ces tableaux obtiennent en tout pays les ont fait sortir des retraites qui les avaient si longtemps abrités. On a vu peu à peu les cabinets se dégarnir, puis disparaître tout à fait. La galerie du souverain lui-même, ensemble exquis, collection superfine,