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Dans les deux collections, tout ne vient pas de l’ancien bourgmestre, tout n’est pas de son temps. Chemin faisant, depuis deux siècles, sa galerie s’est enrichie. Il y a des additions dont il eût été fier, d’autres qu’il n’eût point faites, mais c’est le petit nombre. Au reste, le vieux fonds se distingue sans peine. Chez M. van Loon, une des salles, la salle aux cadres noirs, aux cadres primitifs, ne contient que de purs trésors provenant du bourgmestre. Il y a là un grand Philips Wouverman de 1656, le meilleur temps de ce maître élégant, tableau d’une dimension que rarement il aborde, et qui dépasse à mon avis tout ce qu’il a jamais fait de plus brillant et de plus cavalier. Plus loin je vois un Ostade, de taille peu commune aussi, qui me réconcilie avec ses personnages et son grotesque de convention, grâce à un certain fond de paysage d’un charme incomparable. Je ne parle ni d’un délicieux Metsu, ni de la gracieuse Partie de cartes de Terburg que j’aperçois dans une autre salle, ni de ce Both splendide et tout à fait hors ligne, ni de ces grands portraits de la jeunesse de Rembrandt, ni de huit ou dix autres pages qui, dans les musées les plus riches, auraient une place d’honneur. Je crains les énumérations et fais grâce au lecteur de mes notes de voyage. Ce ne sera pourtant pas sans avoir dit un mot, ne fût-ce que par équité, de l’autre moitié de l’héritage. Ceux qui ont fait les lots avaient l’œil juste assurément ; de part et d’autre, les chefs-d’œuvre sont si bien compensés qu’on aurait grand’peine à choisir. Dans un local d’arrangement plus moderne et sous un jour plus vif, un jour venant d’en haut, la collection de M. Six nous montre aussi des morceaux excellens de Rembrandt, de Terburg, de Jean Both, d’Ostade, de Wouverman ; ajoutez-y Ruysdaël et surtout Albert Cuyp. Deux charmans petits pâturages de ce merveilleux maître, de ce peintre universel, deux effets lumineux, bien connus par la gravure, sont chez M. van Loon. Chez M. Six, il y en a deux aussi, mais de première importance et par la qualité et par les proportions. La marine surtout, grand effet de soleil, est une œuvre vraiment capitale. C’est quelque chose de si franchement beau qu’une belle marine de Cuyp ! Pour en trouver d’égales à celle-ci, je ne vois qu’un moyen, c’est de passer en Angleterre, car les Anglais sont les premiers qui dans le dernier siècle, par je ne sais quel instinct d’hommes de mer, se mirent à accaparer et à faire monter de prix les œuvres de ce peintre méconnu de ses contemporains. Seul de sa génération peut-être, Cuyp mourut presque de faim en faisant des chefs-d’œuvre. La mode lui reprochait de négliger sa touche, de n’avoir pas un assez beau fini, et cela parce qu’avec un art suprême et un discernement exquis il s’arrêtait juste au moment où le travail risquait de compromettre la vérité, où finir davantage c’eût été refroidir, où l’œuvre du sentiment